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l’infante Isabelle, Charles-Quint avait le projet d’aller en Italie et de passer ensuite en Allemagne pour s’y opposer tout à la fois aux progrès des luthériens et aux agressions des Turcs. Le duc Henri de Brunswick était venu lui faire connaître à Séville, de la part des princes catholiques alarmés, la situation de l’empire, que les doctrines de Luther bouleversaient au dedans et que les armées de Soliman menaçaient du dehors. Empereur élu en 1519, Charles-Quint était hors de l’Allemagne depuis 1522. Sa lutte prolongée avec François Ier l’avait tenu constamment éloigné de ce vaste pays, divisé en tant de souverainetés diverses de forme comme d’étendue, livré à des sentimens dissemblables, agité par des opinions contraires, et qu’une main puissante et présente aurait eu beaucoup de peine à remettre en accord et à maintenir dans l’obéissance. Pendant les quatre années de son absence, l’empire, où il avait envoyé comme son lieutenant l’archiduc Ferdinand, son frère, qui n’y avait pas assez d’autorité, bien qu’il y possédât les duchés d’Autriche, de Styrie, de Carinthie, de Carniole, de Tyrol, et qu’il eût été investi du duché de Wurtemberg, confisqué sur le duc Ulrich, allié de François Ier, l’empire était tombé de plus en plus dans le trouble. Une révolution religieuse s’y accomplissait. L’édit que Charles-Quint avait porté en 1521 dans la diète de Worms contre Luther, dont il avait condamné les doctrines et mis la personne au ban de l’empire, était resté inexécuté après son départ. Le hardi novateur, sortant de son asile de la Wartbourg, où l’électeur Frédéric de Saxe l’avait tenu quelque temps caché, était revenu à Wittenberg opérer publiquement la réforme de la croyance et du culte catholiques. De son hérésie, il faisait une religion. Il constituait une église nouvelle différant de l’ancienne par le nombre et l’administration des sacremens, par l’interprétation et la communication de la grâce, le fondement et le mode du salut chrétien, le ministère, comme l’organisation du sacerdoce. Prêchée avec une conviction ardente, accueillie avec une faveur enthousiaste, cette réforme, qui semblait ramener le christianisme à ses fondemens évangéliques, qui donnait au culte plus de simplicité, qui soumettait jusqu’à un certain point les choses de la foi à l’assentiment de la raison, qui répondait par l’examen à l’attente ambitieuse des esprits, et par la ferveur de la croyance aux besoins des âmes, s’était propagée avec une rapidité extraordinaire. De la Saxe électorale, elle avait gagné la Hesse, et s’était étendue dans presque toute l’Allemagne du nord et de l’ouest. Au centre et au midi, la plupart des villes, se gouvernant elles-mêmes avec liberté, l’adoptaient à l’envi. Les princes qui l’avaient embrassée allaient s’aboucher à Torgau, et les plus décidés d’entre eux, l’électeur de Saxe Jean-Frédéric, le landgrave de Hesse Philippe le Magnanime, les ducs Philippe-Otton, Ernest