Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne demanderaient pas mieux que de voir amoindrir la grande république ; mais il s’en faut de beaucoup que cette école exprime le sentiment national. A leur tour, les Anglais accordent peut-être une attention plus sérieuse à ce qui se passe en Amérique qu’à ce qui arrive en aucun autre pays du monde, et en le faisant ce n’est ni la crainte, ni l’envie qui les inspire. Dans les classes inférieures au contraire, dans la population industrielle surtout, et parmi les familles pauvres qui ont envoyé tant de leurs membres peupler les villes et les campagnes de l’Amérique, on est fier de la grandeur des États-Unis comme de la prospérité des enfans de la maison. On n’exagère pas en disant que la guerre civile a été considérée par les Anglais comme une affaire intérieure où ils se passionnaient comme s’ils eussent été eux-mêmes en jeu, et que tous, qu’ils fussent pour le nord ou pour le sud, ils éprouvaient une sorte d’orgueil à voir la grandeur des efforts qui étaient faits de chaque côté. Le citoyen des États-Unis n’est pas seulement en temps ordinaire le client le plus riche et le plus considérable de l’industrie et du commerce anglais, qui désirent sa prospérité pour le profit qu’ils en tirent eux-mêmes ; aux yeux des Anglais, il est quelque chose de beaucoup plus intéressant encore, il est de la même race et du même sang.

Ceux qui ne veulent pas se rendre compte de ces sentimens ne sauraient se faire une idée des proportions qu’a prises de nos jours l’ambition anglaise ; ni des motifs qui l’inspirent, ni des points sur lesquels elle porte. La prépondérance de la race anglo-saxonne dans le monde, c’est là son but, et le terrain sur lequel elle y travaille, ce n’est pas notre Europe, c’est l’Amérique du Nord, c’est l’immense empire colonial qui est échu à l’Angleterre par les armes ou qu’elle a conquis sur les solitudes. Elle aspire à être non pas la souveraine, mais la mère d’une foule d’états qui, répandus sous toutes les latitudes, établis dans toutes les parties de l’univers et issus de la même origine, parlant la même langue, ayant les mêmes mœurs, pratiquant la réalité des mêmes institutions politiques, exerceraient dans l’ensemble une influence prépondérante sur les destinées du genre humain. Ce rêve ambitieux, elle en poursuit la réalisation avec une énergie qui doit donner à réfléchir, à tous ceux que préoccupe l’avenir du monde. Combien étaient-ils au commencement de ce siècle ceux que l’on aurait comptés comme appartenant à la race anglo-saxonne ? 25 millions au plus. Combien sont-ils aujourd’hui ? 70 millions au moins, et avec l’Inde, qui n’a été véritablement conquise que depuis un demi-siècle, avec l’Inde presque aussi grande et presque aussi peuplée que l’Europe, ils règnent sur 200 millions de sujets. Il y a cinquante ans, ce projet de confédération ne figurait dans le monde que pour deux communautés politiques sérieusement constituées ; le reste des possessions qui en dépendaient ne se