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États-Unis les assurances du sincère désir qu’éprouve le gouvernement de la reine de vivre en paix avec eux. Pourquoi ce contraste si frappant ? Il ne manquera sans doute pas de gens pour dire que la réponse est bien simple : c’est que l’Angleterre, qui n’a rien à craindre de l’Allemagne et de la Russie, ne se met pas en peine de les blesser, tandis qu’au contraire elle est très circonspecte avec les États-Unis, dont elle redoute la puissance et la rivalité. Cependant ce raisonnement, qui n’est pas inspiré par une grande sympathie pour l’Angleterre, est aussi souverainement injuste. Dans sa correspondance avec les Russes et les Allemands, le comte Russell n’a jamais pris de conclusions ; en retour des actes qu’il leur reprochait, il ne les a jamais menacés que de l’opinion publique ou du jugement de la postérité, et c’est là ce qui justifie la critique que l’on a faite de ce langage si hautain, si rempli de belles maximes et si vide quant au fond des choses. Vis-à-vis des États-Unis, la situation que prend le comte Russell est tout autre. Après avoir soigneusement établi sa défense, il déclare que l’Angleterre, forte de sa confiance dans la droiture de sa conduite, certaine de n’avoir fourni aucun sujet de plainte légitime ni en fait ni en droit au gouvernement des États-Unis, n’accepte plus que l’on mette en doute ses intentions ni ses actes, qu’elle repousse d’avance toute proposition d’arbitrage comme une offense faite à sa dignité, que pour donner une dernière preuve de l’esprit de conciliation qui l’anime elle consent à la formation d’une commission mixte qui serait chargée de présenter un projet de loi, lequel deviendrait commun aux deux pays, sur les conditions de la neutralité et sur les devoirs qu’elle impose aux sujets des neutres. Il ajoute que l’Angleterre s’en tient là et que la correspondance est close. « En terminant cette lettre, la dernière que j’aurai l’honneur de vous adresser sur ce sujet, je ne puis que renouveler la sincère et sérieuse espérance de voir nos deux pays, aujourd’hui relevés du stigmate et du péché de l’esclavage, jouer leur rôle dans le monde en paix et animés de l’esprit de bonne volonté[1]. » Cela ne ressemble en rien aux sermons que le comte Russell prêchait à la convoitise prussienne, et un tel langage accepte l’éventualité de conséquences pratiques tout à fait sérieuses.

Les considérations politiques qui militent en faveur d’un dénoûment pacifique sont trop nombreuses et trop évidentes pour que nous ne croyions pas au dénoûment amiable de cette difficulté ; nous insisterons seulement sur un point de vue moral dont nous autres étrangers nous ne tenons pas toujours assez de compte quand nous occupons notre esprit des affaires communes à l’Angleterre et aux

  1. Dépêche du comte Russell à M. Adams, 3 novembre 1865.