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bre a voulu que la poudre parlât. Cette résolution obligeait tous les citoyens, et par point d’honneur j’ai fait comme les autres ; seulement, après notre défaite, mes propositions de paix furent écoutées, et la tribu m’a choisi pour vous les apporter.

Quiconque aurait vu l’attitude de ce Kabyle et entendu ses paroles se fût dit, comme nous, que la France avait trouvé là ses hommes, et qu’il y avait plus de fond à faire sur cette mâle et rude franchise que sur des protestations ou des baisemens de mains.

Qu’on observe maintenant toute la race kabyle d’Algérie, qu’on cherche ce qu’elle a gardé des aptitudes de la race djurdjurienne, en tenant compte de l’influence qu’a exercée sur les fractions kabyles disséminées le contact plus ou moins forcé des Arabes : à l’échelon même le plus éloigné de l’origine pure, on pourra trouver une étincelle kabyle qui ne demande peut-être qu’un souffle bienveillant pour se ranimer. Qu’on songe aussi que nos Kabyles sont les frères des Berbères qui couvrent le Maroc, les frères des Beni-Mzab, Ouergliens et Touaregs qui ont la clé du commerce du Soudan ; qu’on songe encore que, dans l’insurrection de 1864, les spahis arabes ont trahi notre drapeau lorsque pas un turco kabyle n’a déserté, et l’on aura le droit de se dire que les Kabyles nous promettent à la fois de meilleurs pionniers pour notre influence morale, politique, commerciale, et de plus fidèles soldats pour notre domination.

Dans l’expression d’alliance franco-arabe, nous voyons en vérité comme une sorte d’hérésie ; entre la croix et le croissant, la conciliation est-elle si aisément possible, quand on a surtout affaire à ce peuple arabe pour qui la loi religieuse est la première des lois ? Le Kabyle, lui, pense à être citoyen, marchand, propriétaire, avant de se souvenir qu’il est musulman. Nous ne poussons certes pas le rêve jusqu’à prétendre que les Kabyles se montrent déjà prêts à recevoir le christianisme ; mais au moins, en secondant leurs intérêts supérieurs, pourra-t-on les rendre de plus en plus indifférens à leur religion. Aussi le mot d’alliance franco-kabyle n’a-t-il rien de contradictoire, parce qu’il représente une fraternité qui existe, une fraternité de caractères et d’idées. Quelque respect que les Kabyles du Djurdjura professent pour leur ada ou code antique que leurs générations se sont transmis inaltéré d’âge en âge, ils consentent déjà, sur les conseils de la France, à en réformer certaines parties pour améliorer le sort de la femme, pour rendre plus équitables les règles des successions. Est-ce l’Arabe qui nous laisserait toucher à son Coran sans nous accuser au moins tout bas de sacrilège ? « Même lorsque l’Arabe est courbé, disaient les Turcs, qui le connaissaient bien, il ne faut cesser de peser sur lui. » Et voici une