Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certains de rencontrer. Or quelle était la proportion de ces deux races manifestement différentes, mais qui semblaient unies par leur haine contre l’étranger et le chrétien ? Question sérieuse, obscure longtemps, à laquelle des travaux recommandables permettent de répondre aujourd’hui. Ces travaux établissent que sur les 2,600,000 indigènes de l’Algérie, près de 900,000 parlent l’idiome kabyle et occupent[1] dans la province de Constantine plus de la moitié de la province, — les caïdats de l’Oued-Kébir, du Zouagha, du Ferd-jioua, de l’Aurès, etc. ; dans la province d’Alger, tout le massif du Djurdjura, les environs de Blidah, de Médéah, de Cherchell, de Tenès, de Teniet-el-Had, toute la confédération des Beni-Mzab et là grande oasis d’Ouergla ; dans la province d’Oran, les confins de la frontière du Maroc et la plupart des ksours ou villes semées à travers les oasis du sud. Mais la langue kabyle est-elle donc un indice nécessaire pour déterminer la présence du sang kabyle ? Non vraiment : sur 1,700,000 indigènes qui parlent l’arabe, M. le colonel Carette, à la suite des plus savantes recherches touchant l’origine et les migrations des principales tribus de l’Afrique septentrionale, compte à peine 1 million d’Arabes purs en Algérie, et M. le docteur Warnier n’en veut même porter le chiffre qu’à 500,000. Ainsi voilà les deux tiers environ, la majorité de la population algérienne, qui appartiennent au sang berbère, les uns ayant gardé les signes de la race pure, les autres adopté la langue et les coutumes arabes et paraissant avoir perdu tout souvenir de leur origine. — Pourtant, qu’on y regarde de près, tout souvenir, ils ne l’ont pas perdu. A plus d’un officier d’Afrique il est arrivé que, se croyant en territoire arabe et causant avec un indigène qu’il regardait comme Arabe, il ait entendu cet indigène lui en désigner un autre sous le nom de Ouarbi (l’Arabe), semblant ainsi établir que lui qui parlait, il ne l’était point ; suivait-on alors cet homme jusque vers son douar, on le trouvait abrité non pas sous la tente arabe, mais, sinon dans une maison de pierres comme le Djurdjurien, au moins sous une hutte ou un ghourbi de branches. A coup sûr, cet homme était de sang berbère, la marque kabyle était là. Et ce goût permanent de fixité ne semble-t-il pas comme un symbole par lequel la race kabyle a l’air de dire : « Cette terre, si j’y tiens, c’est que j’en suis le maître, et toi, Arabe, toi qui en usurpas une partie, tu es condamné à n’y paraître jamais qu’en voyageur ! »

Quoi qu’on pense, l’histoire même à la main, il est aisé de prouver que l’individualité des Kabyles, qui avait su résister à la

  1. Voyez la carte annexée à l’Essai de Grammaire de la langue tamachek, de M. le colonel Hanoteau.