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consenti ; quelques villages des Djennad et des Fraoucen, ayant des labours près de la rivière, firent le sacrifice d’une somme insignifiante que les Turcs appelaient « le droit de joug des bœufs. » Les Iraten se souviennent aussi, en bonne justice, d’avoir une fois payé ; mais combien ? C’est dérisoire : 25 douros (125 francs) pour la confédération tout entière, forte de 18,000 âmes ! Dans la vallée de Boghni, un tiers environ des Aït-Sedkas fournissait la rerama ; un second tiers, aussi bien que la confédération des Guechtoulas, ne payait qu’une lezma de 30 centimes par feu ; le reste ne se soumettait à rien et ne se faisait point faute de railler les contribuables, qu’il poussait, en les narguant, à des révoltes fréquentes. Dans l’Oued-Sahel, l’autorité de l’odjack n’était pas mieux assise : l’on n’a qu’à se rappeler la petite comédie que raconte Peyssonnel et que jouaient les Kabyles sur le passage du camp de Constantine, alors qu’un de leurs marabouts, pour discuter les conditions de l’impôt, se plaçait entre les troupes ottomanes qui passaient dans la vallée et les montagnards qui restaient menaçans sur leurs pentes. Les environs même de leurs bordj au sud du Djurdjura n’étaient pas sûrs, et le caïd de Boghni chargeait chaque année une cinquantaine de Kabyles, choisis parmi les Aït-Sedkas les plus dévoués, d’escorter pendant quatre ou cinq lieues ; depuis Bordj-Hamza jusqu’à Ben-Haroun, le bey de Constantine en marche vers Alger ; ce service spécial était payé aux Sedkas en viande et valait à l’escorte quelques bons repas de bœuf dont les Kabyles se gardent bien de faire fi. Or il advint qu’en 1822 les gens de cette escorte, que l’on croyait si fidèles, volèrent le mulet de leur propre marabout, réputé l’ami particulier des Turcs. Rabia (c’était le nom du marabout) réclame l’appui de Yahia-Agha pour rentrer en possession de sa bête, dont les voleurs sont connus. Jamais l’agha lui-même n’en put obtenir la restitution, et, dans une lettre qu’il répondit pour s’excuser de son impuissance, lettre dont copie existe aux archives du commandement militaire de Dra-el-Mizan, il disait : « Nous ferions tout, afin de vous rendre au besoin dix mulets pour un ; mais avec ces Aït-Sedkas, nous n’arriverons à rien : ils ont la main longue, la langue vantarde, et le cœur du plus grand orgueil. »

En somme, — au point de vue même de l’objet capital, l’impôt, — l’action turque en Kabylie n’était guère ni étendue ni assurée, et l’on peut dire qu’elle s’exerça uniquement dans le rayon des villes et des bordj. Au moins dans ces villes et ces plaines où ils ont régné ont-ils laissé quelques vestiges qui dussent favorablement attester leur passage ? Qu’on regarde Bougie. Son antique splendeur avait, il est vrai, décliné déjà durant les quarante-cinq années de domination espagnole ; mais quand les Turcs sont venus,