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rallié du lendemain jusqu’au jour où son orgueil blessé faisait de nouveau chanter sa tête, et c’était à recommencer sans cesse. Au reste, de la paix comme de la guerre le makhzen des Ameraouas savait profiter ; en temps de poudre, il pillait ; en temps de calme, il se posait comme agent des caïds auprès des Kabyles de la montagne, rançonnant les commerçans pour les laisser paraître sur les marchés, rançonnant les colporteurs ou les émigrans pour leur obtenir le droit de circulation à travers la régence.

A tout cet arbitraire l’autorité, comme les Turcs l’entendaient, trouvait son compte ; mais vraiment aujourd’hui que penserait-on d’un pouvoir qui aurait de semblables instrumens et qui assurerait leur fidélité par le droit à la rapine ? Et puisqu’il s’agit ici des makhzen de Kabylie, pourquoi ne pas étendre la question à l’Algérie tout entière, où ce système caractérisait la politique et les moyens de domination des Turcs ? Aussi bien la lettre de l’empereur au duc de Magenta paraît ouvrir sur ce point sérieux le champ de la discussion. Ce que signifiait le makhzen avec les Turcs pourrait-il donc le signifier avec nous ? Ne s’occupant pas de colonisation agricole, les Turcs n’avaient pas d’intérêts étendus à défendre, et leurs makhzen n’avaient au loin aucune surveillance à exercer ; de temps à autre, ils faisaient des sorties, prélevant des impôts forcés et rapportant quelques têtes. Les Douairs et les Smélas, qui furent les plus fameux makhzen des Turcs dans l’ouest, la France les a reçus en héritage dès le début de la guerre d’Afrique ; mais pourquoi sont-ils venus à nous ? Parce que toutes les autres tribus arabes les avaient mis à l’index, et que le général Mustapha, leur chef, un vrai grand seigneur, était froissé de voir qu’Abd-el-Kader, « ce fils de Juif, » comme il l’appelait, prétendît au royaume arabe. Trouverions-nous aisément aujourd’hui de grands chefs ayant ce prestige et offrant ces garanties ? Les officiers qui ont connu les Douairs et les Smélas dans les premiers temps de notre occupation, alors que nous-mêmes étions encore bloqués contre le littoral, se rappellent combien ils les ont trouvés pauvres et affamés aux portes d’Oran ; aucune tribu arabe ne consentait à leur vendre du grain, et Ils se trouvaient trop heureux d’obtenir une part de l’orge de nos chevaux pour en faire de la farine à leur propre usage. Une fois l’heure du succès venue pour nous, ils ont cru que l’heure était venue aussi de se venger des mauvais jours. Leur vengeance ou la récompense qu’ils se croyaient due pour leur concours, que fut-elle ? Le pillage ! Ce qu’on a pardonné à des tribus qui ont les premières versé leur sang sous le drapeau français, ce qu’on a toléré en pleine guerre, aux rudes époques de la conquête, pourrait-on l’autoriser et l’établir en pleine période d’organisation ? car il ne faut pas s’y tromper : dispenser le makhzen d’impôts, ce n’est pas ce