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Bordj-Sébaou et de Tizi-Ouzou, à tout coupable, voleur ou meurtrier qui fuyait la montagne redoutant la vengeance des lois ou qui, incertain du lendemain, cherchait à vivre, un asile fut ouvert. D’où venait le réfugié, on ne s’en inquiétait pas ; il rompait avec sa montagne, il avait faim, il apportait des bras capables de manier un fusil et une pioche ; — c’était assez. On lui donnait un lopin de terre avec l’espoir de l’augmenter par des combats. S’il manquait de fusil, il en recevait un et recevait aussi un cheval ; fusil et cheval se remboursaient au beylick sur le premier butin de l’Ameraoua ou sur les premiers produits de sa terre. L’appât était grand ; le nombre des arrivans grandit ; des femmes vinrent, les unes appelées du pays arabe, d’autres chassées pour inconduite du pays kabyle, et — les premières zmalahs une fois peuplées — de proche en proche, croissant en audace et en force avec l’appui des colonnes turques, le makhzen s’avança, fondant des postes nouveaux, occupant Temda et Mékla jusqu’au pied des Aït-Fraoucen. Plus il marchait, plus il trouvait de résistance, et chacun de ses progrès était marqué par du sang ; mais au sein d’une vallée accessible à de la cavalerie la tactique des Djurdjuriens se trouvait, pour ainsi dire, dépaysée. Que pouvaient-ils, en pays découvert, contre l’élan de ces bandits à cheval qui faisaient à la fois une guerre de conquête et une guerre de vengeance contre la société kabyle, dont ils étaient les transfuges ? Sept fois pourtant la position de Temda fut reprise par les tribus de la montagne, sept fois les cavaliers du makhzen eurent à la ressaisir de vive force avant d’en demeurer définitivement les maîtres ; mais, affermis par cette dernière victoire qui consacrait leur possession, ils parvinrent enfin à constituer une vaste tribu divisée en dix-huit zmalahs qui remplirent la vallée, — amerou (ils ont rempli), d’où leur nom d’Ameraouas. — Voilà l’origine de ce célèbre makhzen qui ressemblait aux colonies militaires par la concession de terrain faite à chacun de ses membres, mais en différait sur ce point, que les Ameraouas ne touchaient pas de solde, qu’au lieu de vivre sous les murs d’un bordj, ils se répandirent plus au loin pour prendre une existence, un développement et une action propres. La jouissance gratuite du territoire du beylick formait la récompense officielle de leurs services ; un bénéfice autrement net et précieux était la razzia, et pourvu qu’il en eût sa part, le Turc laissait carte blanche. Toute fraction de tribu kabyle qui avait conservé quelques cultures dans le voisinage de la plaine, sur le rayon où les cavaliers pouvaient galoper, était esclave du makhzen « par le ventre. » Au moindre refus d’impôt, à la moindre apparence d’insurrection, l’Ameraoua courait sus aux troupeaux, ravageait les récoltes et brûlait les ghourbis. Pour retrouver son bout de terre, le montagnard arrivait à composition ; ennemi de la veille, il devenait le