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capitulation, il lui fut répondu que ce qui ne pouvait pas s’exécuter, c’était la cession de la Bourgogne : ce qu’il était convenable d’offrir et d’accepter, c’était une forte rançon en argent. En rendant compte de son infructueuse mission à Charles-Quint, Lannoy lui dit : « Je ne vois apparence que l’on vous donné la Bourgogne[1]. » Persuadé en même temps que le fier et opiniâtre empereur ne consentirait pas à traiter sur d’autres bases et à recevoir en échange de cette province la somme tant de fois refusée de deux millions d’écus d’or, il réclama son prompt envoi en Italie, où il prévoyait que la lutte allait recommencer plus animée et plus terrible que jamais. « Je vous supplie très humblement, ajoutait-il dans sa lettre à l’empereur, de me donner congé d’aller à Naples, car les pratiques du pape, Angleterre, et France, et Vénitiens, sont telles qu’il est besoin que les affaires de Naples se remédient. »


II

En effet, ces pratiques allaient aboutir à une alliance générale contre Charles-Quint. Les Italiens, exposés aux déprédations de son armée, livrés aux exactions de ses généraux, voyant qu’il était fortement établi dans le royaume des Deux-Siciles, qu’il dominait militairement dans le duché de Milan, qu’il disposait de Gênes, qu’il étendait ses exigences sur Florence et sur Rome, et qu’il devenait menaçant pour les états de terre ferme de Venise, trouvaient en lui dans le moment un oppresseur de leur pays et dans l’avenir le maître redouté de toute la péninsule, où il projetait de venir, à la tête d’une armée, prendre la couronne impériale. Bien que sa puissance fût très grande, la crainte l’exagérait encore en France et en Angleterre ainsi qu’en Italie. On lui supposait le dessein d’aspirer à.la monarchie universelle. Ce dessein imaginaire, que Charles-Quint ne pouvait pas plus concevoir que réaliser, causait une inquiétude générale. Il excitait la jalousie soupçonneuse du roi d’Angleterre, l’inimitié intéressée du roi de France, et provoquait la coalition prévoyante des potentats alarmés de l’Italie.

Ceux-ci avaient déjà tente deux fois, pendant la captivité de François Ier, de s’unir entre eux et de se concerter avec la régente de France pour chasser les Espagnols du Milanais et déposséder Charles-Quint du royaume de Naples. La première fois, le projet avait échoué par la trahison de Pescara et l’arrestation de Morone. Après la mort de Pescara, que Charles-Quint avait nommé un peu tard duc de Sora, en qui il avait perdu un homme de guerre du premier ordre, un serviteur altier, mais dévoué, incommode pour les autres, très utile pour lui, et ayant mis à le servir son esprit, son

  1. Lettre de Lannoy à Charles-Quint. — Lanz, t. Ier, p. 209.