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REVUE DES DEUX MONDES.

Pont, des bords du Nil et de l’Euphrate, arrivaient à la suite des armées romaines les cultes d’Attis, d’Élagabal, d’Osiris, de Mithra. Longtemps écartés, combattus, proscrits, ces cultes étrangers finissent par obtenir leur droit de cité sous les césars, avec les pays d’où ils sont originaires. Il n’y a rien de plus intéressant que d’étudier dans Preller la religion romaine pendant l’empire. Le paisible scepticisme des dernières années de la république ne suffit plus alors à personne ; un besoin inconnu de connaître et de croire s’empare de toutes les âmes. Les uns, pour le satisfaire, se jettent dans les excentricités sanglantes du culte de Bellone et de Cybèle, les autres dans les cérémonies mystérieuses de la religion de Mithra. On s’étourdit dans les fêtes bruyantes et sensuelles d’Isis ou d’Attis ; on veut renaître avec le baptême de sang des tauroboles ; on cherche à surprendre l’avenir en consultant les magiciens de la Chaldée ou de la Perse. Toutes les idées, toutes les croyances, toutes les pratiques qui arrivent de l’Orient, sont accueillies avec faveur. On devine confusément qu’une grande rénovation religieuse se prépare et que c’est de là qu’elle doit sortir. « Le Christ peut naître, dit le poète Prudence, le chemin lui est ouvert. »

Je n’ai pas besoin d’insister davantage sur l’intérêt que présente l’étude de la mythologie romaine. On ne peut pas se flatter de connaître à fond un peuple, si l’on ignore ses croyances ; la plus grande et la meilleure partie de lui nous échappe. Aussi peut-on dire qu’on ne sait pas l’histoire de Rome quand on sait mal sa religion. Il faut donc remercier M. Dietz, qui nous rend plus accessible le livre de Preller, où elle est si complètement étudiée ; il l’a traduit d’une façon élégante et claire qui fait mieux ressortir les qualités de l’auteur. Je lui reprocherai seulement d’avoir quelquefois abrégé l’original et de supprimer presque partout les notes. Ce n’est pas au traducteur qu’il faut s’en prendre, je le sais : il n’aurait pas mieux demandé que de nous donner Preller tel qu’il est ; mais les éditeurs sont terribles, ils nous croient tout à fait incapables de goûter les choses sérieuses. Ils ne consentent à nous les servir qu’à petites doses, pour nous ménager ; un livre savant leur paraît toujours trop long, et ils ne s’en chargent qu’à la condition de l’écourter. Le public français serait fort en droit de se plaindre de la mauvaise opinion qu’ils ont de lui ; il n’est pas aussi léger qu’ils le pensent, et il a souvent prouvé que la science ne l’effrayait pas quand elle était présentée d’une certaine façon. On lira assurément la mythologie de Preller, comme M. Dietz l’a traduite, parce qu’en somme elle fait bien connaître la religion romaine aux gens du monde ; mais je crois pouvoir affirmer que, si on nous l’avait donnée comme l’auteur l’avait faite, sans en rien supprimer, on l’aurait lue avec plus de plaisir encore.

Gaston Boissier

V. de Mars.