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l’influence malencontreuse des vieilles routines politiques représentent des dépréciations de capitaux bien supérieures au gain hypothétique d’une province. L’homme d’état de notre époque devrait être un grand et vigilant homme d’affaires appliqué sans cesse à étudier le poids des intérêts économiques dans la balance des intérêts politiques et à guider ces intérêts par des directions nettes, ou au moins par des informations opportunes et claires. Ce qui se passe aujourd’hui dans la sphère de ces intérêts devrait être pour les hommes d’état qui croient encore à la politique du raffinement et du mystère une leçon décisive.

Les intérêts, en voyant tout à coup l’imminence d’un conflit entre l’Autriche et la Prusse, ont découvert que la politique de réserve, de taciturnité et de neutralité affectée, qu’on leur avait donnée pour un chef-d’œuvre d’habileté de notre part, était au contraire le comble de l’imprudence. Cette politique compromet en effet à un très grave degré l’intérêt supérieur qu’elle prétendait sauvegarder, la liberté d’action de la France. Cette liberté d’action eût pu être exercée avec une sécurité plus grande et une efficacité plus certaine à chaque incident antérieur des complications allemandes, au moment de l’exécution fédérale dans le Holstein, au moment de l’invasion des duchés par les troupes austro-prussiennes, avant le traité de Vienne, avant la convention de Gastein. Les prétentions de M. de Bismark ont grandi à chacune de ces étapes ; la neutralité de la France n’a fait que l’encourager à des audaces nouvelles. Que la France eût exprimé une opinion décidément favorable non-seulement au droit, mais à une solution définitive de la question des duchés dans l’une des premières phases de cette affaire, la simple manifestation de son autorité morale eût incontestablement modifié la marche des choses : sa décision eût donné de la force et du courage aux résistances naturelles que les projets ambitieux de M. de Bismark devaient rencontrer en Allemagne ; l’Autriche ne serait point allée aussi loin dans ses engagemens avec la Prusse ; les états secondaires ne se seraient point laissé atteindre par un découragement incurable, ils ne seraient point tombés dans la prostration où nous les voyons. M. de Bismark, sentant devant lui l’obstacle, n’aurait pas pris cet élan impétueux que l’on acquiert nécessairement quand on marche de succès en succès. Au lieu d’essayer activement une politique semblable, on a laissé aller les choses en réservant la liberté d’action de la France, et notre liberté d’action se trouve aujourd’hui en présence d’un duel possible entre les deux grandes puissances allemandes ; mais c’est précisément ce conflit, s’il éclate, qui peut enlever à la France sa liberté d’action, et nous forcer d’agir au moment que nous n’aurons ni prévu ni choisi, sur un terrain qu’il ne dépendra plus de nous de circonscrire.

En face du péril d’une guerre éclatant entre la Prusse et l’Autriche, on s’est dit que cette guerre serait le signal d’une perturbation générale, qu’il était impossible que dans ce conflit l’Italie demeurât neutre ; que l’Italie