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menagées. Plusieurs projets ont été présentés pour des modifications à la législation qui rendent plus libre le gage que les cultivateurs peuvent offrir à leurs créanciers. Ces projets ont assurément leur mérite, mais ils soulèvent des questions de droit délicates, et même en les supposant réalisés, ils n’auront que bien peu d’effet tant que tout le crédit de la France sera centralisé à Paris.

Tels sont les principaux remèdes indiqués par le congrès. Le cri parti spontanément de ce meeting agricole trouvera plus d’un écho dans l’enquête : il est de nature à réunir dans une même pensée toutes les classes de la population attachées au sol. Ce n’est pas seulement l’intérêt des propriétaires de tout ordre qui veut la réduction des contingens, la réduction des travaux de Paris, la réduction des impôts ; c’est aussi l’intérêt des fermiers, des métayers, des simples journaliers. Il y a plus, c’est l’intérêt des consommateurs urbains, car on ne peut obtenir que par ces réformes la vie à bon marché. La réduction des frais de revient profite à tous, et l’impôt est le plus lourd de ces frais. Quand l’agriculture aura moins de charges à supporter, moins d’hommes à fournir, elle saura bien trouver elle-même sa voie ; elle a doublé ses produits en trente ans, de 1815 à 1845 ; elle saura bien les doubler encore. Si elle n’a pas fait mieux depuis quinze ans, c’est qu’on ne lui en a pas laissé les moyens. Les pertes qu’elles a subies dans ces quinze années n’ont pas été tout à fait sans compensation, en ce sens que le réseau des chemins de fer et des routes de terre n’a cessé de s’accroître ; ce genre de progrès, comme tous les autres, a marché plus lentement chez nous que dans le reste de l’Europe occidentale, mais enfin il a marché, et ces puissans instrumens de circulation porteront leurs fruits quand les causes qui les neutralisent auront cessé.

Le moment approche où les peuples apprécieront les gouvernemens, non par ce qu’ils feront, mais par ce qu’ils ne feront pas, et où les gros budgets et les grandes armées iront rejoindre dans le gouffre du passé les pouvoirs absolus ou oligarchiques. Ce jour-là, l’agriculture ne se plaindra plus. Loin de réclamer des privilèges, elle n’a qu’à poursuivre ceux qui s’exercent contre elle, et elle en trouvera beaucoup : privilèges des produits étrangers contre les produits nationaux, privilèges de la propriété mobilière contre la propriété immobilière, privilèges des villes contre les campagnes ; elle n’a qu’à gagner en provoquant contre ces abus une nouvelle nuit du 4 août. Qu’elle inscrive donc résolument sur son drapeau cette grande devise des peuples modernes : l’égalité dans la liberté.


L. DE LAVERGNE.