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Le congrès n’a pas craint de réclamer en outre la suppression des octrois, et à notre avis il a eu raison, quoi qu’il en doive arriver. Puisqu’on invite l’agriculture à s’expliquer sur ses griefs, elle fait bien de n’en omettre aucun. Timidité ici serait imprudence. La question des octrois est beaucoup plus mûre qu’on ne peut le croire quand on ne suit pas de près le mouvement des idées économiques. Un petit pays qui marche rapidement dans la voie de la prospérité, parce qu’il a su garder en 1848 sa monarchie constitutionnelle, la Belgique, a supprimé dans son sein les octrois depuis cinq ans. Un autre état qui a précédé de tout temps le reste de l’Europe dans la pratique de la science financière, la Hollande, vient aussi de les abolir. Chez nous, on en a tant abusé depuis quelques années, qu’on a donné des armes puissantes à ceux qui les repoussent. Pour subvenir à des dépenses de luxe, on a surchargé outre mesure toutes les consommations ; on a fait plus, on a imaginé d’étendre arbitrairement le périmètre de la perception, et en portant les poteaux de l’octroi à une grande distance dans la campagne, on a soumis des populations rurales aux mêmes charges que la population urbaine, sans les faire profiter des dépenses qui se font avec leur argent[1]. Tous ces excès ont comblé la mesure.

Il n’y a jamais eu d’octroi en Angleterre, et les villes n’y sont ni plus mal pavées ni plus mal éclairées qu’ailleurs. Ceux qui voyagent aujourd’hui en Belgique et en Hollande peuvent faire la même remarque. L’heureuse Belgique, ayant à disposer d’un excédant sur les recettes du trésor public, a pu remplacer les octrois en attribuant aux communes intéressées 40 pour 100 sur le produit brut des postes et 34 pour 100 des droits d’accise sur les boissons et sur les sucres. Les Pays-Bas, n’ayant pas tout à fait la même ressource, les ont remplacés purement et simplement par des centimes additionnels aux contributions directes, en y ajoutant les quatre cinquièmes du principal de la contribution personnelle. On peut varier ces combinaisons, mais dans toutes les hypothèses les octrois finiront par disparaître. Quand même les revenus des villes se réduiraient un peu par la transformation, il n’y aurait pas un bien grand mal. L’octroi a les avantages des impôts indirects en général, mais il en a aussi les inconvéniens ; il peut s’accroître insensiblement sans que le contribuable en soit averti : c’est ainsi qu’une perception qui n’était que de 6 millions à l’origine a pu atteindre 100 millions pour la seule ville de Paris.

L’état a déjà manqué deux occasions de supprimer les octrois. Il

  1. Voyez une brochure sur l’extension de l’octroi à la banlieue de La Rochelle, qui contient des faits incroyables et pourtant attestés par de nombreuses signatures.