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suppriment ses bénéfices, et l’agriculture ne l’est pas. Les autres industries le sont un peu plus, mais non encore assez.

Beaucoup de déposans, trompés par de fausses apparences, demanderont le retour à ce qu’on appelle le système protecteur. Là est le danger. Ce mot de protection présente à l’esprit une idée si séduisante qu’on s’y laisse prendre facilement. C’est aux hommes éclairés de combattre ce préjugé en montrant combien tout espoir de protection agricole est chimérique. On peut protéger telle ou telle industrie dont les produits sont bornés, en la défendant par des tarifs exagérés contre la concurrence étrangère. Pour l’agriculture, on ne le peut pas à cause de l’immensité de ses produits. La concurrence nationale, sur un sol de 54 millions d’hectares qui nourrit une des populations les moins denses de l’Europe, produit les mêmes effets et même des effets plus grands que la concurrence étrangère. On prohiberait complètement les produits agricoles étrangers que les produits indigènes ne se vendraient pas un centime de plus en temps ordinaire, et quand, pour une cause ou pour une autre, ils viennent à manquer, la nécessité de l’alimentation publique oblige à renverser toutes les barrières ; la protection disparaît au moment où elle pourrait devenir efficace.

Pour le blé notamment, le système de la loi de 1861 est par le fait plus protecteur que l’échelle mobile. Comparons l’action des deux systèmes, soit dans un temps de disette, comme 1861, soit dans un temps d’abondance, comme 1865. Dans le premier cas, l’introduction des blés étrangers n’aurait pas été moindre sous l’ancien régime, elle aurait été même supérieure, car l’échelle mobile aurait levé tous les droits d’entrée et prohibé l’exportation, tandis que la loi de 1861 a laissé l’exportation libre et maintenu sur le blé un léger droit d’entrée. Dans le second cas, l’exportation qui a écoulé une si grande masse de nos produits n’aurait pas été aussi forte, parce que les prohibitions des années précédentes auraient comprimé le mouvement du commerce.

On a constaté, il est vrai, que depuis la loi de 1861, et même depuis la suspension de l’échelle mobile en 1853, les importations de céréales ont excédé les exportations d’une quantité notable ; mais on néglige de tenir compte d’un autre fait : c’est qu’à partir de 1853, nous avons eu deux très mauvaises récoltes. Avec de tels incidens, les entrées auraient excédé les sorties sous tous les régimes. Si l’on veut à toute force imputer cet excédant à la disparition de l’échelle mobile, il faut aussi lui attribuer la hausse des prix dans la même période. Les prix moyens se sont fort élevés après 1853, non à cause du régime légal, mais à cause des deux disettes, et c’est précisément parce que les prix moyens se sont élevés que les importations