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tabletterie et la mercerie pour 100 millions, les grains et farines pour 80 millions, les vins pour 80 millions, les tissus de soie pour 67 millions, les tissus de coton pour 50 millions, etc. Il n’y aurait qu’à se féliciter de ce surcroît de ventes, si la question ne se compliquait d’un élément fort obscur et fort difficile à saisir, mais qui n’en a pas moins beaucoup d’importance : c’est la consommation intérieure. Si l’exportation vient s’ajouter à une consommation intérieure progressive ou même stationnaire, elle constitue un bénéfice ; si elle ne fait qu’écouler l’excédant d’une consommation qui se réduit, elle change de nature : c’est toujours un bien en soi, car il vaut mieux vendre au dehors que ne pas vendre du tout, mais c’est la révélation d’un mal.

Or nous avons malheureusement, pour trois articles au moins, la preuve que le progrès de l’exportation coïncide avec une réduction de consommation à l’intérieur. S’il est vrai, comme le démontre l’examen des chiffres, qu’à prendre dans leur ensemble nos fabriques de soieries, de lainages et de cotonnades, elles ont diminué d’un quart depuis 1861 par le manque des matières premières, l’exportation n’a pu être prise que sur une réduction de consommation, et plus l’exportation a augmenté, plus la consommation intérieure a dû se réduire. La conséquence est rigoureuse, il n’y a aucun moyen d’y échapper. Il est bon sans doute de vendre des chemises à nos voisins, mais il vaudrait mieux que tous les Français en eussent davantage : la consommation intérieure d’abord, la vente extérieure ensuite. Si nous ne consommions plus de tissus du tout, nous en exporterions encore plus ; en serions-nous plus heureux et plus riches ?

L’exportation des denrées agricoles n’est également qu’un palliatif, car elle ne peut prendre de grandes proportions que par la baisse des prix. Ne vaudrait-il pas mieux que la consommation nationale soutînt assez les prix pour réduire l’exportation ? Si le moindre excédant de récolte détermine des baisses désastreuses, c’est que la consommation intérieure ne se développe pas suffisamment. Encore un coup, ce n’est pas la faute de la liberté du commerce ; elle atténue le mal au lieu de l’aggraver, mais elle ne suffit pas. Il faut encore que les principes de l’économie politique soient appliqués à l’intérieur comme à l’extérieur, et ils ne l’ont pas été ; voilà pourquoi tout souffre à la fois, et l’agriculture plus que le reste. Nous ne prétendons pas mettre sur le compte du mauvais gouvernement économique la ruine de la soie, la maladie des pommes de terre, les épizooties, l’oïdium, les mauvaises récoltes de 1855 et de 1861, les récoltes surabondantes de 1863 et de 1864 ; mais une industrie peut être plus ou moins armée pour lutter tour à tour contre les fléaux qui réduisent ses produits et contre les baisses de prix qui