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Les conséquences naturelles de ces faits apparaissent maintenant de toutes parts. La valeur des propriétés rurales a baissé dans les trois quarts du territoire, et beaucoup de terres mises en vente ne trouvent plus d’acquéreurs ; les fermiers ne paient plus à l’échéance et refusent de renouveler leurs baux aux mêmes conditions ; les ouvriers voient le travail leur échapper et leurs salaires redescendre, faute de ressources chez ceux qui les emploient.. Si ces influences délétères ne cessent pas d’agir, la production agricole ira en se réduisant, et nous marcherons à une succession de disettes.

Ces fâcheuses vérités contrastent avec les témoignages de satisfaction qui éclatent dans toutes les cérémonies agricoles organisées par l’administration ; le ministre de l’agriculture reconnaît lui-même avec une parfaite loyauté « qu’un cri de détresse s’est fait entendre tout à coup au milieu de la prospérité. » — « Oui, a-t-il ajouté, l’agriculture souffre, mais ce ne peut être qu’une situation anormale que celle qui fait sortir la misère de l’abondance. » Il nous semble difficile qu’on puisse ainsi passer en un jour de la prospérité à la détresse. Les mouvemens de l’agriculture ne sont pas en général aussi prompts. Il est vrai que, d’après le ministre, la crise actuelle tient « à des influences passagères d’un ordre supérieur, impénétrables comme les desseins de la Providence, et qui échappent comme eux à l’action et à la prévision humaines. » Nous ne saurions partager ce fatalisme : le bas prix des blés est sans doute un accident qui tient en partie à des causes passagères ; mais les souffrances de l’agriculture ne viennent pas toutes du bas prix des blés, elles tiennent à d’autres causes qui dépendent un peu plus de la volonté humaine, et il faut bien que le gouvernement lui-même en ait jugé ainsi, puisqu’il a ordonné une enquête. L’action de ces causes ne se fait pas seulement sentir sur l’agriculture, elle se montre dans toutes les branches de l’activité nationale ; elle retarde dans son ensemble le mouvement de la richesse et le progrès de la population.

Ceux qui veulent croire à toute force à un énorme accroissement de richesse font grand bruit de l’extension qu’a prise notre commerce extérieur. De 2 milliards 250 millions en 1852, importations et exportations réunies, ce commerce a passé à près de 6 milliards en 1865. Voilà sans doute une magnifique progression ; mais quand on y regarde de près, beaucoup d’ombres viennent se mêler à cet éclat. C’est surtout depuis 1861 que le progrès a été marqué, dit-on ; comparons donc 1861 à 1865, et nous verrons que si, dans ces cinq ans, notre commerce extérieur s’est accru de 1 milliard 670 millions, cet accroissement n’a pas toujours été un signe de prospérité intérieure.

D’abord se présente un phénomène assez nouveau, et qui doit