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autres. C’est encore de la poésie qui sert à quelque chose, si peu que ce soit. Ces petits vers galans ou armés à la légère sont militans aussi à leur façon ; petits combats, petits tournois, mais qui peuvent avoir une galerie de spectateurs. Il n’y a au XVIIe siècle qu’une espèce de poètes inutiles et qui ne comptent pas ; aussi s’en est-on bien moqué : ce sont ceux qui dans leur galanterie vague riment non pour la dame de leurs pensées, mais pour la dame de leurs rêves, pour une Iris en l’air, qui, « toujours bien mangeans meurent par métaphore, » ou bien ceux qui dans de vides rêveries célèbrent la nature qu’ils ne connaissent pas,

Et dans leur cabinet assis au pied des hêtres
Ont fait dire aux échos, des sottises champêtres.

Il en est encore de même au XVIIIe siècle, où tous les esprits cultivés s’intéressent à la poésie pour des raisons analogues. Si elle est souvent frivole, elle promène du moins sa frivolité sur tous les sujets qui éveillent la curiosité publique. Y a-t-il une pièce parmi les plus fugitives de Voltaire qui n’ait son intérêt présent ? Ses satires, il suffit de les nommer ; ses épîtres sont des manifestes. La poésie alors n’est souvent que de la philosophie, de l’histoire, détaillée en traits menus, aiguisée en pointes piquantes ou meurtrières. Elle sera moins encore, si vous voulez ; elle notera en passant l’anecdote du jour, elle fera la chronique aimable ou scandaleuse des palais et des grandes maisons, elle chantera la munificence des Mécènes ou chansonnera leurs ridicules, et, pour n’être pas noble toujours, elle ne laissera point d’être écoutée, parce qu’elle renferme des idées ou des faits, et qu’elle s’adresse aux passions bonnes ou mauvaises du public. La France sera attentive, l’Europe applaudira. Les princes étrangers entretiennent à Paris des correspondans d’esprit, des Grimm, des Laharpe, pour les tenir au courant de ces futilités poétiques et leur envoyer ces fleurs passagères dans leur première fraîcheur : pauvre poésie, peu digne de servir d’exemple, je l’accorde, mais qui vit, qu’on recueille, parce qu’il n’y a chose si mince qui n’ait son prix, par cela qu’elle est réelle. Voyez donc si jamais les princes de l’Europe s’aviseront de se faire envoyer nos vers du jour pour savoir au juste à quoi monsieur un tel a rêvé en regardant couler l’eau, ce qu’il peut avoir dit à l’oiseau bleu, quel secret il a pu arracher aux marguerites.

Ce n’est donc que dans notre siècle qu’on s’est avisé un beau jour de faire de la poésie qui ne regarde personne, qui n’est d’aucun usage, de composer des vers sans occasion, sans sujet, qui ne relèvent d’aucun temps, d’aucun lieu, et où le poète, penché sur lui-même, essaie de noter dans une langue harmonieuse, mais peu connue, ces murmures confus qui bruissent dans son cœur, pareils