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à proximité des mécaniciens pour les réparer en cas d’accident. A défaut de ces travailleurs d’élite, l’emploi de la machine est accompagné de tant de déboires et de frais qu’on ne les adopte pas, ou que même l’on y renonce. Répandez l’instruction, et l’emploi des machines se généralisera. Nulle part on n’en trouve plus qu’aux États-Unis, et nulle part la classe laborieuse n’est plus instruite[1]. La crise dont souffrent les campagnes en France provient de l’émigration des bras et des capitaux vers les villes ; elle s’explique aussi par un défaut de prévoyance chez les cultivateurs. Pour ne pas avilir le prix des produits du sol, il serait nécessaire d’en varier la nature, de rompre avec la routine, d’étendre les cultures industrielles presque toujours si rémunératrices ; mais, pour pratiquer ces conseils depuis longtemps donnés par l’économie rurale, il faudrait prévoir les besoins du marché, suivre les progrès de la science agricole, étudier et appliquer en connaissance de cause les méthodes nouvelles, et pour cela il faudrait de l’instruction.

En Belgique, les tristes effets de l’ignorance se font sentir d’une manière plus fâcheuse, plus poignante encore. Par suite du développement croissant de l’industrie, une impulsion extraordinaire est imprimée à l’extraction du charbon dans les riches bassins houillers de Mons, de Charleroi et de Liège, qui emploient un si grand nombre d’ouvriers ; il s’ensuit qu’on demande plus de bras et que le salaire hausse, circonstance qui va, semble-t-il, augmenter le bien-être de ces pauvres travailleurs qui arrachent au sein ténébreux de la terre le combustible sans lequel l’industrie actuelle ne peut vivre. Hélas ! non. S’ils gagnent plus, ils chôment davantage, et pendant deux jours de la semaine ils consomment en d’abrutissantes dépenses tout ce dont leur salaire s’est accru et au-delà. Et ainsi ce qui devrait les relever les abaisse encore, et l’augmentation du salaire, qui pourrait être un moyen de salut, devient pour eux une source d’immoralité, une cause de dépravation, — pour ceux qui les emploient un véritable fléau, car ils ne peuvent imprimer à leurs travaux l’activité continue que réclame toujours une bonne exploitation et que commandent surtout les besoins actuels. Si l’ouvrier avait plus d’instruction, il apprendrait bientôt à faire un bon usage du salaire augmenté, et, initié à de plus nobles plaisirs, il n’irait point dissiper ses forces, sa santé, son bien-être, dans les grossières excitations du cabaret. Aussi, en Belgique comme dans le département du Nord, les industriels les plus intelligens sont-ils les

  1. C’est grâce à la supériorité de l’ouvrier qu’on parvient à construire aux États-Unis des machines que l’Angleterre même n’arrive pas à imiter. Ainsi ces presses merveilleuses à cylindres concentriques qui tirent 25,000 exemplaires à l’heure, et dont se servent le Times et l’Illustrated London news, viennent d’Amérique.