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nuire, il n’y manque pas. On ne peut nier que ces objections n’aient un fondement très sérieux. L’auteur de la loi de 1842, M. Nothomb, soit par entraînement de parti, soit par conviction personnelle, a voulu soumettre l’école à l’influence prépondérante du clergé. Il est certain que ce système présente de grands dangers pour l’avenir dans un pays où le clergé constitue, non un corps placé en dehors des luttes politiques et uniquement désireux de répandre les vérités et la morale évangéliques, mais une milice guerroyante, un parti militant, conduisant ses bandes fidèles à l’assaut du scrutin. Quoi qu’il en soit de cette question, qui donne lieu aux plus vifs débats, il est incontestable que l’instruction primaire a fait des progrès. Le dernier rapport officiel constate qu’au 1er janvier 1861 il y avait en tout 5,558 écoles primaires, dont 3,908 soumises à l’inspection, et 1,650 entièrement libres. En comparant ce chiffre à celui de la population, on voit qu’il y a par 1,000 habitans 1,12 écoles ou 1 école par 854 habitans : c’est presque moitié moins qu’en France ; mais on ne peut en conclure aucune infériorité pour la Belgique, où la densité presque double de la population permet de fournir autant de facilités à l’instruction avec moitié moins d’écoles. Il n’y a en tout que 1,374 écoles exclusivement pour les filles, et le principe de la séparation des sexes se propage lentement, malgré les efforts des autorités civiles et ecclésiastiques, parce que l’application exigerait la construction de bâtimens nouveaux. Le nombre des enfans fréquentant l’école s’élève pour tout le pays à 515,892, soit environ 1 élève par 9 habitans. C’est la même proportion qu’en France, d’où l’on peut conclure que, comme dans ce pays, un peu moins du cinquième des enfans ne reçoivent aucune instruction ; mais ici non plus il ne faut pas se fier à ce que ces chiffres présentent d’assez satisfaisant. La plupart des élèves ne fréquentent pas régulièrement l’école, et un tiers seulement suivent le cours complet d’études élémentaires. Quant aux résultats définitifs, ils sont moins brillans encore qu’en France : un tiers environ des miliciens belges sont complètement illettrés, soit 31 pour 100, tandis qu’en France le chiffre n’était que de 30 pour 100 en 1861, et même en 1865 il est descendu à 25,73 pour 100[1]. Le degré d’instruction des miliciens ne donne pas une idée exacte de l’ignorance qui pèse encore sur les classes inférieures en Belgique. D’après de récentes enquêtes sur le degré d’instruction des-ouvriers dans les grands centres industriels, on peut admettre que

  1. Il faut remarquer toutefois qu’on ne rencontre point en Belgique de régions ou l’ignorance soit aussi générale qu’en Bretagne et dans le centre de la France. Si la France l’emporte, c’est parce que dans toute la région de l’est l’instruction est bien plus répandue que dans les plus avancées des provinces belges.