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au jugement individuel appliqué aux Écritures saintes, et non à une autorité infaillible ou à la tradition. Il faut donc que le protestant sache lire ; c’est pourquoi dans tous les états réformés le clergé a fait d’immenses et persévérans efforts pour fonder des écoles et pour y amener les enfans. L’instruction obligatoire remonte aux premières années de la réforme, et elle a été une loi de l’église longtemps avant d’être une loi de l’état. Cette contrainte a été imposée non point par le génie du despotisme, mais par celui de la liberté. Elle n’a pas été édictée au nom des droits de l’état sur l’enfant ; on a tenu compte avant tout du droit de l’enfant sur lui-même : aussi l’instruction obligatoire a-t-elle été toujours accueillie sans hostilité par l’opinion publique. L’adresse que Luther envoya en 1524 aux corporations municipales la pose en principe, et ce grand homme y revient souvent dans ses écrits. « Eh quoi ! dit-il, si l’on peut en temps de guerre obliger les citoyens à porter l’épieu et l’arquebuse, à plus forte raison ne peut-on et ne doit-on pas les contraindre à instruire leurs enfans, lorsqu’il s’agit d’une guerre bien plus rude à soutenir, la guerre avec le mauvais esprit qui rôde autour de nous, cherchant à dépeupler l’état d’âmes vertueuses ! C’est pourquoi je veille, autant que je le puis, à ce que tout enfant en âge d’aller à l’école y soit envoyé par le magistrat. » Lorsqu’au commencement du XVIIIe siècle Frédéric-Guillaume de Prusse publia ses ordonnances royales pour l’amélioration des écoles et obligea tout enfant non confirmé à s’y rendre, il ne fît que reproduire des prescriptions anciennes. Le strict devoir des parens chrétiens d’instruire leurs enfans avait déjà été imposé par la loi aussitôt après les désastres de la guerre de trente ans. Dans le Wurtemberg, une ordonnance royale prescrivant la fréquentation des écoles date de 1649, l’année même qui suit la paix de Westphalie. Le règlement général de Prusse de 1763, que l’on considère souvent comme ayant établi l’obligation, ne fait que déterminer plus exactement l’âge d’école de 5 à 14 ans. La seule innovation réelle, c’est qu’il ajoute le calcul à l’instruction religieuse.

En Prusse comme dans toute l’Allemagne, l’école primaire est entretenue aux frais de la commune et dirigée par elle sous la haute surveillance de l’état. L’autorité scolaire est représentée d’abord dans les localités mêmes par un comité que nomme le conseil communal (schulvorstand). Ce comité surveille l’enseignement, et le ministre du culte en est président de droit. Les comités locaux, responsables devant la commune, remplissent généralement leur mission avec exactitude et dévouement. Au-dessus d’eux, on trouve un comité provincial (schulcollegium). Les membres de ce comité, nommés directement par le ministre de l’instruction