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fameux parc de Cortina. Le silence qu’avaient gardé les notables sur cette poudrière attestait bien leur hostilité. Une caisse fermée contenait en outre tous les A majuscules et minuscules enlevés à l’imprimerie de l’état de Tamaulipas, qu’on voulait mettre hors de service à l’arrivée du général Mejia. Le fleuve roulait avec fracas. Pour déjouer les projets des républicains, dans la crainte de leur retour offensif, du haut des rochers de la ville, on précipita dans les eaux vaseuses du Rio-Tigre deux mille huit cents projectiles et trois cents barils de poudre. Le reste des barils et les boulets de calibre furent réservés pour l’approvisionnement des pièces de prise ; les capsules, qui commençaient à manquer, furent respectées. L’amnistie fut proclamée. Une partie de là bande de Palacios vint aussitôt déposer les armes ; mais le chef demeura caché au fond des bois, déclarant avec emphase qu’il attendait les ordres de Cortina.

Ce même jour nous parvint la nouvelle de la chute de Matamoros et de la reddition de Cortina. L’ancien gouverneur du Tamaulipas, après avoir franchi le Rio-Bravo, repoussé par les confédérés[1], maîtres encore de Brownsville, située sur l’autre rive du fleuve, était rentré à Matamoros, où il avait extorqué 500,000 piastres aux négocians, sous prétexte de solder sa troupe. Malgré ces rapines, ses soldats ne reçurent rien ; 1,500 d’entre eux l’abandonnèrent pour se répandre en guérillas, et le reste menaça de se révolter. Il crut dès lors prudent de se rendre au général Mejia. Cortina, général de brigade de rencontre, le pillard des commerçans, chef de bandes délaissé des siens, bloqué sans espoir de retraite, acculé par nos marins sortis de Bagdad, réduit à vaincre ou à mourir, ne tira pas un coup de fusil ; déshonorant jusqu’au bout la cause qu’il invoquait, il demanda grâce. Le soir même, les poches encore pleines du larcin dont sa reddition sauvait le fruit, il fut amnistié et élevé par le général Mejia au grade de général de division de l’empire avec un commandement actif dans Matamoros, dépouillé par ses mains. En vérité, c’était plus que de l’aveuglement. Aussi cinq mois après, au mois de mars 1865, le nouveau général de division, après avoir embauché une partie des troupes restées jusqu’alors fidèles à leur chef Mejia, se prononçait-il de nouveau pour Juarès ! À cette heure, il tient encore la campagne. Il faut ajouter, à l’honneur de la marine française, que le capitaine de vaisseau Veron, sur le point d’enlever Matamoros à la tête de ses matelots, avait refusé de traiter avec Cortina et avait exigé qu’il se rendit à discrétion, comme un simple brigand.

  1. Les Américains du sud avaient mis à prix la tête de Cortina, qui avait lâchement assassiné quelques mois auparavant un de leurs compatriotes, le secrétaire de Vidaurri, gouverneur du Nuevo-Leon.