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tenu à escorter le chef français et à lui faire les honneurs de son propre territoire. Le gentleman de la veille aux habits européens avait fait place au véritable hacendero, moitié gentilhomme campagnard, moitié homme de guerre prêt au coup de feu. On se plaisait à voir ce cavalier portant avec une mâle prestance le costume national et franchissant les obstacles, emporté sur son noir étalon. A entendre sa parole brève, on comprenait qu’il avait l’habitude de commander et d’être obéi. Vers le soir, d’une poche de cuir il tirait un morceau de viande boucanée, et après son mince repas s’étendait sur le sol du bivouac, le long du feu. Cette sobriété donne le secret de la guerre de partisans. Tout Mexicain, riche ou pauvre, est toujours prêt à vivre en plein air et se condamne sans sourciller aux intempéries comme aux privations. La cigarette est son seul luxe nécessaire.

Trente-huit lieues séparent Sotto-Marina de San-Fernando. Sauf l’hacienda de Buena-Vista, où, malgré les dénégations du majordome, nous trouvâmes de grands magasins de maïs dissimulés derrière une double muraille, trois pauvres ranchos perdus dans l’immensité sont les seuls gîtes où le voyageur puisse abriter sa tête, sans toutefois pouvoir s’y restaurer. Le 29 septembre, après cinq jours de route et une étape doublée, la contre-guérilla arrivait vers midi au rancho de l’Ermita, au bord du Rio-Tigre, à quatre lieues en dessous de San-Fernando, qu’on avait résolu de tourner. Le rancho était plein de poudres. A la même heure, la fraction mexicaine laissée par le général Mejia, sous les ordres du colonel de Perald, à la disposition du chef français et venue de Vittoria par une route plus directe débouchait au rendez-vous de l’Ermita. Cette troupe avait été moins heureuse que la nôtre dans son trajet, car un de ses officiers et sept hommes s’étaient noyés au passage de la Corona. Le Rio-Tigre, dont les eaux jaunâtres avaient baissé, était profondément encaissé, et ses berges étaient couvertes du limon déposé par les dernières crues. Dans la soirée, à force de travail, nos deux escadrons le franchirent en ne perdant que deux chevaux dans ses vases ; lancés sur la ville ennemie, San-Fernando, ils y entrèrent sans coup férir à la chute du jour. Le général Cortina, menacé par le débarquement de six cents marins français établis solidement à Bagdad, petite ville située sur l’embouchure du Rio-Bravo à cinq lieues environ au-dessous de Matamoros, inquiété par la descente de la division Mejia, qui arrivait de Monterey, s’était en effet transporté à Matamoros pour se mettre à l’abri de notre marche et ne pas se laisser couper de la frontière. Il avait confié la défense de San-Fernando à son lieutenant Palacios, un vaquero du voisinage, soutenu par un ramassis d’hommes armés.

San-Fernando, presque entouré par le Rio-Tigre, était défendu