Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/984

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même grille de fer ouvragé réunit au temple un campo santo ombragé de palmiers. Le long du fleuve, on retrouve encore quelques ranchos vivant de modestes cultures. Ce petit pays a dû être florissant et industrieux ; mais la population y est trop clair-semée. Sotto-Marina était autrefois un port ouvert au commerce, qui lui donnait de la vie ; il a succombé sous les intrigues des négocians de Matamoros, le port voisin, qui en ont fait décréter la fermeture. Pourtant Sotto-Marina, par sa position géographique, doit attirer l’attention de tout pouvoir qui voudra s’affermir au Mexique. A douze lieues de la mer, baignée par la Corona, d’une navigation large et sûre jusqu’à ses rives, cette petite cité, placée entre Tampico et Matamoros, a l’avantage sur ces deux dernières villes d’avoir trois mètres d’eau de plus à la barre en tout temps et d’offrir une baie abritée des coups de norte. Il suffirait d’ouvrir ce havre pour que toutes les marchandises abandonnassent Matamoros. Le commerce, au point de vue de l’économie de temps et de parcours, préférerait sans nul doute Sotto-Marina, qui est la route directe de Vittoria et des hauts plateaux. La réouverture de ce port ramènerait en outre la vie au centre du Tamaulipas, déserté totalement à cette heure par une population qui y mourait de faim et qui a dû se rejeter sur Tampico et Matamoros, les deux points extrêmes de la province, d’où elle tire son alimentation. Si Sotto-Marina n’est pas rayée de la carte, c’est qu’elle est peuplée surtout d’Américains qui se livrent au trafic des cuirs verts ou secs qu’on expédie en contrebande par le fleuve. Cet élément de race étrangère expliquait la présence, surprenante au premier abord, dans cette bourgade perdue de l’agent américain Martin de Léon, qui avait pris place dans la députation de la veille aux côtés de La Serna. Martin de Leon, Yankee dans l’âme, plutôt roué que fin, agissait sourdement sur les esprits afin de détacher du Mexique une de ses plus belles provinces. Son frère, Pancho de Leon, avait été un des chefs de guérillas les plus ardens à harceler les Français dans les deux occupations de Tampico et guerroyait encore. Enfin, son parent Carbajal recevait certainement d’Amérique toutes les armes et les munitions nécessaires à la continuation de la lutte. Martin de Leon, malgré des dehors un peu rudes, se montra fort empressé pour les officiers français, qui durent accepter le lendemain de leur arrivée un splendide banquet arrosé des meilleurs vins, mais où le colonel, par un sentiment, de réserve que commandaient les circonstances politiques, refusa d’assister. Les toasts patriotiques n’y furent pas oubliés. Au plus fort de la mêlée, le capitaine d’un des escadrons de la contre-guérilla s’esquiva sans bruit et se glissa dans l’ombre hors de la ville, où il trouva une cinquantaine de ses cavaliers déjà en selle. Carbajal venait d’être signalé dans un