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terrains sablonneux. L’infanterie et l’artillerie remontèrent le fleuve en barques. La cavalerie, après avoir franchi à la nage les Esteros, petits bras qui enveloppent le côté nord de Tampico, marcha droit devant elle à travers broussailles, marais et prairies. Les fantassins du colonel Prieto, chef de la contre-guérilla mexicaine, suivaient à courte distance, courant sans être essoufflés du même pas que nos chevaux.

La colonne s’en allait joyeuse, la campagne s’annonçait comme pleine d’intérêt. Les officiers de cavalerie, appartenant tous aux chasseurs d’Afrique, se connaissaient de longue date, et les souvenirs de Crimée et d’Algérie, parfois évoqués, ne manquaient pas de charmes sur cette terre du Mexique. A six lieues de Tampico, nous fîmes halte le soir au centre d’une vaste plaine où s’abrite, sous les poiriers sauvages aux longues et odorantes grappes de fleurs rouges, l’hacienda de Caracol. C’est un des domaines de ce riche Mexicain, San-Pedro, que nous avons montré dans un autre récit obtenant par son influence la soumission aux Français de la ville de Panuco. La maison de maître est blanche et proprette, ce qui est rare dans les haciendas de la province. San-Pedro pratique largement les lois de l’hospitalité dans sa résidence de Caracol. Une table abondamment servie de mets indigènes aux sauces brûlantes et pimentées attendait les officiers de la contre-guérilla. Les moustiques, devenus féroces à la tombée de la nuit, rendaient le sommeil impossible. On se laissa bientôt aller à la vivacité de la causerie, et vers une heure, aux premières lueurs de la lune, on se mit en selle. L’étape à parcourir comptait quatorze lieues de pays. On avait sans cesse à traverser des étangs d’où l’eau s’était évaporée. Des crevasses d’un terrain encore vaseux, souvent brûlant, s’exhalaient sous les pieds des chevaux des miasmes qu’un séjour de quelques heures eût rendus mortels. Rarement on y trouvait une goutte d’eau pour étancher sa soif.

En moins de trois jours, malgré les difficultés accumulées sur notre route, nous n’en avions pas moins franchi trente lieues ; nous étions à Tancasnequi. Les magasins de cette place avaient été protégés jusqu’à cette époque par un détachement du corps de Mejia, qui avait dû rejoindre la division mexicaine opérant son mouvement offensif sur Vittoria. La contre-guérilla confia la garde des docks de Tancasnequi à un de ses officiers et à soixante-dix de ses fantassins. A chaque angle des bâtimens s’éleva un petit fortin d’où une poignée d’hommes repousserait sans peine désormais les coups de main tentés contre l’entrepôt.

Cinquante-huit lieues séparent Tancasnequi de Vittoria. On ne peut se faire une idée de ce que cette distance à franchir nous coûta d’efforts. Notre colonne, nécessairement légère, puisqu’elle