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à un jeu de mots tant soit peu humiliant pour les Français, qui se piquent de tout enlever à la baïonnette. « El inimigo, disaient-ils, es como la gelalina : se mueve, pero non avanza (l’ennemi est comme la gélatine : il se remue, mais n’avance pas. » Depuis cette époque, il est vrai, les libéraux ont été cruellement désabusés. Donc en août 1864, pendant que l’empereur Maximilien montait sur le trône à Mexico, à deux cent cinquante lieues de son palais de Chapultepec, dans l’état de Nuevo-Leon, entouré de fonctionnaires, de généraux et de soldats, abattu par les désastres, mais non désespéré, le président de la république mexicaine restait debout, résolu à ne pas déserter son mandat légal. Un pareil état de choses ne pouvait durer.

Une des deux divisions françaises commandée par le général de Castagny, qui depuis six mois avait pris position dans la gracieuse ville d’Aguas-Calientes, capitale de l’état du même nom, placé presque au centre des hauts plateaux, se mit en mouvement pour descendre au nord sur Monterey, la ville principale du Nuevo-Leon. Entre Aguas-Calientes et Tampico, la division mexicaine sous les ordres de Mejia, dont le quartier-général était à San-Luis, reçut mission de se rabattre des hauteurs vers la mer, d’enlever Vittoria au chef juariste Cortina et de courir sur Matamoros, le port frontière qui sépare le littoral mexicain du littoral des États-Unis, et qui était alors occupé par les libéraux. Sur la droite, la contre-guérilla, remontant de Tampico jusqu’à Vittoria, où elle se rencontrerait avec le général Mejia, devait balayer toutes les terres chaudes du Tamaulipas depuis Tampico jusqu’à Matamoros, en passant par Vittoria. Rejeter au-delà des frontières Juarès et les siens, ou les forcer à gagner le Nouveau-Mexique, dont la route restait encore libre, et conquérir à la couronne l’état de Nuevo-Leon et le port de Matamoros, tel était le double résultat que l’on attendait de ce mouvement combiné sur une largeur de cent cinquante lieues[1]. Une bonne part était promise à la contre-guérilla dans cette expédition : il lui était réservé cette fois encore de pénétrer dans un pays rebelle où ne s’étaient jamais montrées les armes de la France.

Depuis un mois, les chaleurs avaient redoublé : les lacs des terres chaudes qui s’étendent sur les rives du Tamesis étaient desséchés ; on pouvait les traverser à pied sec presque en ligne directe, ce qui permettait de réduire le trajet de Tancasnequi, pénible à parcourir sous une température aussi élevée et au milieu de

  1. L’état de Nuevo-Leon est très riche en mines d’or, d’argent et de plomb. Au moment de l’expédition, le gouverneur Vidaurri venait de faire des ouvertures au maréchal Bazaine. La conquête du port de Matamoros était d’une grande importance, car non-seulement les revenus des douanes y étaient considérables, mais il assurait aux libéraux des facilités de communication avec l’Amérique qu’il s’agissait de leur enlever.