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en combattant pour elle ; on a insulté le ciel en affranchissant la terre ; on s’est moqué du christianisme, du spiritualisme, de la philosophie de l’esprit et de l’idéal, c’est-à-dire qu’avec une légèreté hautaine on a fermé toutes les voies ouvertes à nos légitimes élans. Qu’arrive-t-il encore une fois ? L’élan se détourne, l’instinct sublime dévie, et l’esprit qui aspirait à Dieu devient la dupe du premier charlatan qui passe.

Non pas, certes, qu’il faille confondre dans une même accusation de charlatanisme tous les personnages extraordinaires qui composent l’étrange et ténébreuse mêlée du XVIIIe siècle à son déclin. C’est en cela que l’histoire de la marquise de Chaves cesse d’être un symbole complet. Il y a autre chose que les tireurs d’horoscopes et les montreurs de fantômes parmi ces visiteurs inattendus. Les contemporains, amis ou ennemis, ont rangé sous le même drapeau les rêveurs et les insensés, les mystiques et les fourbes ; mieux placés à distance pour discerner les masques des figures, nous reconnaissons aujourd’hui trois catégories très distinctes au milieu de cette confuse assemblée. Ce sont d’abord les fourbes, les jongleurs, ceux qui, exploitant les dispositions crédules de l’esprit public et mettant à profit les découvertes mal connues des sciences non constituées encore, ont fait un si grand nombre de dupes dans toutes les classes de la société européenne : tels sont l’Allemand Schrepfer, le Hongrois Saint-Germain, le Sicilien Cagliostro. Bien au-dessus d’eux ou plutôt dans un ordre d’idées tout différent viennent les mystiques, les rêveurs inspirés, âmes tendres et un peu folles, mais de cette folie qui est souvent l’exaltation de la sagesse, âmes profondes à coup sûr, car elles ont senti avant toutes les autres le besoin de se soustraire aux sèches doctrines d’un siècle épuisé, et, prenant leur vol les premières, elles ont cherché à travers mille dangers les rivages inconnus. Il n’y a pas de rapprochement à faire entre ces élans désordonnés et le spiritualisme viril qui demeurera l’honneur de notre siècle ; avons-nous tort pourtant de rendre hommage, comme l’a fait si éloquemment Mme de Staël, à ceux qui ont protesté contre des doctrines funestes et rouvert aux âmes les perspectives infinies ? Trois hommes, un Suédois, un Suisse, un Français, composent ce mystique cénacle ; il suffit de nommer l’enthousiaste et poétique Svedenborg, l’ingénieux et ardent Lavater, le doux et subtil Saint-Martin. Le troisième groupe enfin est celui des mystiques révolutionnaires. Sont-ce bien des mystiques ? Eux-mêmes le disent, puisqu’ils se nomment les illuminés ; il semble pourtant que ce soit là une simple prétention accommodée à l’esprit du temps et du pays où la secte a pris naissance. A vrai dire, ce sont, des hommes d’action, et ils se proposent bien moins de pénétrer les mystères du monde idéal que de