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malheureusement pas sûrs, au milieu d’un pays affaibli et divisé, de pouvoir soutenir jusqu’au bout le rôle patriotique qu’ils prenaient dans leur langage. Le roi dom Henri n’avait plus assez de force pour imposer des ordres, il n’avait plus même la force de vivre. Ces scènes d’émotion et d’anxiété par lesquelles il passait à tout instant le brisaient et le laissaient dans un épuisement tel qu’il tombait parfois dans des léthargies profondes. Il mourut quelques jours après, le 31 janvier 1580, l’esprit détaché de tout, passant presque du sommeil à la mort ; il ne se réveilla qu’un instant pour sentir l’agonie, demander un cierge, et le cierge à la main il s’éteignit en disant : « Le moment est arrivé ! » Son oraison funèbre fut courte. Dans les rues de Santarem et de Lisbonne, le peuple chantait à tue-tête : « Vive à jamais le roi dom Henri dans les enfers ; — puisque par testament il laisse le Portugal aux Castillans ! »

Le roi-cardinal mourut presque seul, abandonné, au bruit des agitations auxquelles il n’avait su porter aucun remède, sans avoir rien décidé, laissant cinq gouverneurs pour prendre un pouvoir que toutes les ambitions se disputaient déjà : de telle sorte qu’au moment le plus décisif d’une crise qui se formait et grandissait depuis deux ans le Portugal se réveillait en face de la domination étrangère avec une noblesse vendue, un clergé qui trahissait, une opinion populaire passionnée, mais énervée d’incertitudes, avec une énergie guerrière émoussée par la corruption, un trésor vide, un gouvernement suspect et deux prétendans, dont l’un, n’osant tenter l’aventure, s’effaçait au dernier moment devant le plus hardi, qui ne méritait guère mieux la couronne et n’était guère plus capable de la gagner. Un instant, au lendemain de la mort du cardinal, le parti populaire des cortès essaya, il est vrai, de s’emparer du pouvoir. Phebus Moniz tonna contre la trahison. « Comment, s’écriait-il, pourrions-nous nous confier à ceux qui nous commandent, s’il nous est connu que des cinq gouverneurs trois au moins ne peuvent se laver du soupçon public d’être les amis et les partisans de l’Espagne ? .. En présence de tels faits, serait-il raisonnable de laisser le pays à la discrétion d’hommes dont la loyauté est si douteuse ? » Mais ce n’était qu’un vain appel. Le Portugal se trouvait, avec cinq gouverneurs impuissans ou infidèles, entre Philippe II prêt à s’élancer et le prieur de Crato, dom Antonio, resté dans la défection universelle l’unique chef d’une résistance nationale sans espoir.


II

Il y a une fatalité qui semble conduire les événemens et proportionner les hommes aux circonstances. Les deux derniers rois avaient représenté l’indépendance portugaise à l’heure où elle était en déclin,