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Les deux monarques ne s’étaient pas vus depuis le jour où le vainqueur inquiet avait visité dans l’Alcazar le prisonnier moribond ; Aussitôt qu’ils s’aperçurent, ils s’avancèrent l’un vers l’autre, tenant à la main, François Ier son bonnet, Charles-Quint son chapeau, et ils s’embrassèrent étroitement[1]. A la cordialité de leur longue étreinte, on les eût pris pour deux amis heureux de se retrouver. Dans l’effusion de leur nouvel attachement, ils semblèrent oublier, l’un le triomphe de ses prétentions imposées, l’autre l’amertume de ses humiliantes condescendances. Ils luttèrent de courtoisie à qui des deux céderait le pas à l’autre. François Ier finit par l’emporter dans ce combat de politesse, et il obtint que l’empereur prît cette fois la droite[2]. Ils entrèrent ainsi dans Madrid, au grand contentement du peuple, accouru de tous les côtés pour jouir du spectacle de cette heureuse réconciliation, et dont François Ier, par la renommée de son courage et par les grâces de sa personne, avait gagné l’admiration. Ils se rendirent à l’Alcazar, où ils soupèrent et s’entretinrent longtemps ensemble.

Ils demeurèrent ainsi, durant plusieurs jours, dans la plus parfaite union, se donnant les témoignages réciproques d’une amitié qu’ils disaient sincère et d’une confiance qui paraissait inébranlable. Ils faisaient leurs dévotions dans les mêmes églises et se montraient à côté l’un de l’autre au peuple ravi de leur apparente intimité[3]. François Ier demanda à voir la reine sa fiancée, et il

  1. « É en viéndose, se quitaron à la par el rey el bonete, é el emperador un chapeo, é se embrazaron muy estrechamente é gran rato è con mucho placer. » Hernandez de Oviedo, ibid, et Sandoval, ibid.
  2. « É luego comenzaron a porfiar sobre cual iria a la muno derecha : en fin el emperador. vencido de cortesia, tomó al rey a su mano siniestra ; é ansi fueron hasta el Alcazar, donde se apearon, é comieron é cenaron juntos en un banquete suficiente… à tan grandes principes. » Hernandez de Oviedo, ibid ; Sandoval, ibid.
  3. Sandoval, t. Ier, liv. XIV, § 5.