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fixité dans les résolutions une fois prises qui tenait autant à son esprit inflexible qu’à son caractère opiniâtre, il ne céda à aucune considération de sûreté ou d’utilité. Suivant donc ses propres dispositions autant que les conseils du chancelier Gattinara, il résolut de ne jamais délivrer le roi, si le roi ne lui restituait pas la Bourgogne. Le projet d’abdication de François Ier ne l’ébranla point, soit qu’il le considérât comme réel, soit qu’il n’y vît qu’un subterfuge. Il se montra prêt à lui rendre plus commode le séjour d’une prison sans terme.

Il recevait en même temps avec grand éclat[1] le duc de Bourbon, qu’il avait appelé d’Italie pour le consulter dans les arrangemens qui le concernaient. Le 15 novembre, par une pluie très forte, il alla au-devant de lui avec le cardinal légat Salviati et toute sa cour jusqu’à une certaine distance de Tolède. Il lui fit l’accueil le plus cordial et lui dit qu’il était la personne au monde qu’il désirait le plus de voir. Il rentra dans Tolède en ayant le cardinal légat à sa droite et le duc à sa gauche. « Sire, lui dit Bourbon, j’ai perdu mon état à votre service, et de ma personne j’ai fait ce que je vous offris comme chevalier, bon serviteur et vassal, et je rends grâce à Dieu de ce que les choses en sont à ce point, pour la grande gloire et avec la victoire de votre majesté… S’il avait fallu perdre un royaume, comme j’ai perdu mon état, je l’aurais fait volontiers, et à cela l’aurais trouvé bien employé. — Duc, répondit Charles-Quint, votre état n’est pas perdu et ne se perdra pas ; je vous le rendrai, et en outre je vous en donnerai un plus considérable. Je sais que tout ce que vous dites est vrai ; le temps et mes œuvres montreront la volonté que j’ai de vous agrandir. — Seigneur, ajouta le duc, après la bataille de Pavie, je voulais suivre la fortune. Si je ne le fis pas, c’est que je ne trouvai point la même volonté dans plusieurs des principaux de votre armée. Il me parut alors qu’il convenait mieux au service de votre majesté de pourvoir à la garde du roi de France et des prisonniers les plus considérables. — Vous avez mieux fait comme cela, ajouta l’empereur, et tout a été bien conçu et bien exécuté. Je sais que vous avez été, avec l’aide de Dieu, une des causes les plus décisives de cette victoire, et je le reconnaîtrai comme je le dois[2]. »

Pendant que l’empereur accueillait ainsi l’ancien connétable de

  1. Lettre de l’ambassadeur anglais évêque de Bath, dans Turner, t. Ier, p. 466. — Lettre du secrétaire d’état Jean Lallemand à L. de Praet, dans Négociations entre la France et l’Autriche, t. II, p. 649. — State Papers, t. VI, p. 511.
  2. Relacion de lo sucedido en la prision de Francisco I, por Gonzalo Hernandez de Oviedo, f° 32. — Extrait dans l’appendice à la Captivité de François Ier, par M. Gachard, p. 90.