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roi forcé d’abandonner qui l’avait servi, de servir qui l’avait accablé. A toutes ces prétentions, Charles-Quint en ajoutait une autre. Il voulait que le roi ainsi dépouillé se montrât satisfait, et qu’il fût à jamais son ami fidèle. Il n’entendait pas qu’il se tînt pour mécontent dès qu’il serait libre, qu’il cherchât à reprendre par la force ce qu’il aurait cédé sous la contrainte, et il exigeait l’assurance de son affection non moins que la résignation à ses sacrifices. Il abusait de la victoire sans pour ainsi dire s’en apercevoir, et il était si aveugle dans son avidité, si tranquille dans son immodération, qu’il croyait être généreux en ne réclamant pas davantage. Il n’en était pas moins inhabile par défaut de clairvoyance, et pour vouloir se procurer trop d’avantages il s’exposait à n’en obtenir aucun.

Ces propositions furent portées le 9 octobre à Madrid par l’archevêque d’Embrun et le premier président de Selve, qui les communiquèrent à François Ier. Le prisonnier les connaissait déjà. Malgré ce que lui avait écrit la duchesse sa sœur sur les tenaces prétentions de l’empereur, si peu conformes aux espérances qu’il lui avait récemment données, il s’en étonna. Il y répondit sur-le-champ (le 10 octobre) avec hauteur et avec esprit. Il dit que c’était la crème des articles dont l’empereur avait chargé Beaurain lorsqu’il était enfermé à Pizzighetone et de ceux qu’il avait adressés lui-même de Pizzighetone à l’empereur. Il consentit à ce qu’il avait offert et rejeta fièrement le reste, en accompagnant ses refus d’observations amères ou ironiques[1]. Il écrivit ensuite cette lettre à Charles-Quint : « Monsieur mon frère, j’ai entendu par l’archevêque d’Embrun et mon premier président de Paris la résolution que leur avez dite sur le fait de ma délivrance, et me déplaît de quoy ce que demandez n’est en mon possible : car vous cognoistriez qu’il ne tiendrait à moy que je fusse et demeurasse votre amy. Mais cognoissant que plus honnestement vous ne pouvez dire que vous me voulez toujours tenir prisonnier que de me demander chose impossible de ma part, je me suis résolu prendre la prison en gré, estant sûr que Dieu, qui sçait que je ne l’ay méritée longue, estant prisonnier de bonne guerre, me donnera la force de la pouvoir porter patiemment, et n’ay regret sinon que le fruit de vos honnestes paroles qu’il vous pleust me tenir en ma maladie n’ait sorti son effect, ayant peur que le bien de la chrétienté ne soit doresnavant si bien conduit au service de Dieu qu’il eust été, moy demeurant par sang et mariage vostre bon frère et amy François[2]. »

  1. Captivité de François Ier, p. 360-368.
  2. Cette lettre est en original dans le volume VI de la correspondance d’Espagne aux archives des affaires étrangères de France, Documens relatifs aux traités de Madrid et de Cambrai, — et en copie dans le volume V, f° 301.