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Lisbonne écoutait avec un sourire satisfait l’ambassadeur de Philippe lui disant négligemment que la couleur de son habit n’était pas assez vive, et se livrait pour la pourpre qu’on faisait luire à ses yeux. Les évêques, sauf celui de Guarda, étaient gagnés à la cause de l’Espagne. Une conférence suffit pour faire du général des dominicains un agent de Philippe. La masse du clergé, plus rapprochée du sol, plus mêlée à la vie populaire, résista. La plèbe des moines était suspecte, et l’ambassadeur passa tout un carême à faire surveiller les prédicateurs, qui mettaient, disaient-ils, toutes leurs mauvaises intentions dans leurs sermons. Chose curieuse, les adversaires les plus ardens de la politique espagnole étaient les jésuites, qui avaient pris parti pour Bragance. C’étaient ceux que Moura appelait les théatins, et qu’il représentait comme les inventeurs ou tout au moins les conseillers du mariage du roi. Philippe II fut obligé de peser de tout son poids sur le chef de l’ordre à Rome, de séduire, de promettre, de menacer, et même, quand le général eut écrit de Rome, la sourde opposition des jésuites n’inquiétait pas moins à Lisbonne ; mais c’est surtout du peuple que venait la résistance la plus vive, la plus irréconciliable.

Le peuple, les bourgeois, la petite gentilhommerie en Portugal avaient la haine de la domination espagnole. Ce fut cette population mêlée et encore vivace qui sentit le dernier battement d’orgueil national et qui livra le dernier combat pour l’indépendance. « Le peuple, dit Moura, ne laisse pas de s’inquiéter de ce qu’on lui prépare, n’étant pas capable de comprendre ce qui est le meilleur… La basse classe est fort dure, et il convient de tenir toujours à point ce qui peut la flatter… » Dans les villes, dans les campagnes, l’aversion contre l’Espagne se manifestait sous toutes les formes. Les femmes elles-mêmes se faisaient patriotes. Les esprits se remplissaient d’inquiétude et de méfiance à l’égard de la noblesse, dont on sentait la trahison sans la voir encore. Au moment où les cortès se réunissaient pour la première fois, le 8 mai 1579, deux artisans, le cordonnier Martino Fernandez et le potier Antonio Pirez, qui se disaient maîtres en la cité de Lisbonne, pénétraient jusque dans la salle où se rassemblaient les députés et faisaient entendre le cri du patriotisme populaire. « Nous demandons, disaient-ils, à vos seigneuries, comme étant têtes principales de cette république, d’aider au moins à la soutenir ; nous demandons qu’on ne perde ni son honneur ni son droit en écoutant la partialité ou les considérations particulières de quelques individus. Vos grâces peuvent être assurées que, pour la défense de nos droits et le châtiment des Portugais versatiles, nous sommes prêts à nous lever avec quinze ou vingt mille hommes de cette cité et des environs. Deux