Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/843

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prière commune, comme des propriétaires qui chacun bâtissent leur maison sur un plan différent de celui des autres, mais qui n’en restent pas moins unis dans la défense et la conservation de leur bien.

Rien de bien remarquable non plus au fameux pénitencier cellulaire de Cherry-hill, modèle de ceux de l’ancien monde et lieu de pèlerinage consacré de tous les voyageurs étrangers. C’est une espèce de Mazas avec des murailles de forteresse, des cellules étroites, des promenoirs longs de six pieds et de longues galeries voûtées en forme de croix. Arrêtons-nous seulement à la maison pénitentiaire ou école de réforme des petits enfans. On nous introduit dans une cour où une vingtaine de négrillons luisans s’ébattent au soleil. Sur un signe du maître, leurs jeux bruyans cessent tout à coup, et les voilà qui, avec une dernière gambade et une dernière grimace, se rangent en bon ordre pour retourner au travail : on les emploie à faire des baguettes de parapluies. A d’autres heures, ils quittent l’atelier pour l’école, qui occupe au moins la moitié de leur temps. Le maître nous dit qu’en général il les trouve aussi bien doués que les blancs, mais moins attentifs et moins persévérans au travail.

Nous passons ensuite dans le quartier des blancs, car on ne songe pas encore, comme au Massachusetts, à confondre ici les deux races. Je me promène dans des corridors lambrissés, garnis de tapis de laine, dans de beaux dortoirs spacieux et bien chauffés, le long desquels s’alignent deux rangées de jolies chambrettes avec des lits et des rideaux blancs. Le parloir aussi est élégant, orné de dessins et d’estampes ; les enfans que j’y rencontre ont un air d’aisance et de propreté que je vois à peine dans nos collèges. Ce ne sont pourtant que des enfans rétifs, de jeunes repris de justice, ou de pauvres petits abandonnés que la ville recueille et élève gratuitement. Comme les noirs, on les fait travailler de leurs mains pour leur apprendre un métier. Je visite plusieurs de leurs ateliers : ici ils fabriquent des bottines d’enfant, de gros souliers ferrés pour l’armée ou pour la commission sanitaire, — ailleurs des boîtes d’allumettes chimiques et des brosses de chiendent, — le tout avec une promptitude et une prestesse inimaginables. On les emploie autant que possible à ces petits ouvrages improductifs que l’industrie abandonne, où ils peuvent rendre service au consommateur sans nuire à l’ouvrier par leur concurrence. L’établissement d’ailleurs a pour loi de ne faire aucun profit.

Je traverse, en revenant, d’immenses quartiers monotones bâtis de maisonnettes en brique à deux étages, qui toutes se ressemblent avec leurs perrons de pierre et leurs façades rouges. C’est là, me dit-on, que demeurent les petits bourgeois et les artisans de la ville.