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tenu sa place, s’il a fait preuve de constance, de vrai courage, de désintéressement, il faut que la France le sache, il faut lui dire la perte qu’elle a faite, lui rappeler des services qu’elle ne soupçonne plus, essayer même de lui peindre les traits de l’homme, cette physionomie vraiment originale, qui ne lui fut jamais qu’imparfaitement connue.

Ce soin serait inutile si nous étions à vingt ans en arrière. Que la mort eût surpris M. Alphonse Perier pendant qu’il siégeait à la chambre, l’émotion de tous ses collègues, sur tous les bancs, dans toutes les opinions, aurait dit au public ce qu’il était, ce qu’il valait, et quelle place, à son insu pour ainsi dire, il occupait dans l’assemblée. Son nom sans doute entrait pour quelque chose dans la situation qu’il s’était acquise. Ce nom, qu’avaient mis en lumière, dès la veille de 89, les premiers vœux, les légitimes exigences de la liberté naissante et encore pure d’excès, venait récemment d’emprunter un éclat tout nouveau au dévouement, aux succès, à la mort même d’un ministre intrépide, celui qui nous avait appris qu’à force de courage on peut contenir une révolution sans l’enchaîner ni la trahir. Ce nom devenait donc une sorte de symbole de l’esprit de gouvernement uni au sincère amour des libertés publiques, l’opinion conservatrice en faisait son drapeau, et c’était avant tout à leur illustre frère que MM. Alexandre, Camille, Alphonse et Joseph Perier devaient la faveur bienveillante que leur accordait la chambre et qu’ils se conciliaient d’ailleurs par leurs titres personnels et pour leur propre compte.

Ce qui distinguait le député de Grenoble, c’était une façon à lui particulière de professer ses opinions, de les émettre, de les soutenir ; une vivacité franche, nette, impétueuse, souvent même un peu brusque et parfois agressive, mêlée de quelque causticité, mais toujours tempérée par une bonhomie spirituelle, affectueuse, un air ouvert et souriant. Il n’abordait guère la tribune, semblable à beaucoup d’autres qui se taisaient aussi, moins par indifférence ou par langueur d’esprit que faute d’habitude défiance de leurs forces, excès de modestie, peut-être aussi désir de trop bien faire ; mais s’il avait peu de goût pour ce genre de champ clos, il en cherchait un autre volontiers. Personne moins que lui ne renonçait à la parole et ne redoutait ses adversaires. Dans les bureaux, dans les couloirs, il les arrêtait au passage, rompait avec eux des lances, s’attaquant aux plus vifs, aux chefs comme aux soldats, sans jamais baisser pavillon, et rendant à l’opposition dans ces petites guerres plus de coups qu’il n’en recevait.

Il était, ce qu’il y a de plus rare en France, un esprit politique, le moins souple des hommes et le plus discipliné, sachant ce qu’il voulait, le voulant constamment, et, sauf à sentir parfois quelques piqûres d’épingle, à ne pas satisfaire tous ses goûts, toutes ses fantaisies, ne marchandant jamais un concours qu’il savait nécessaire au triomphe de ses convictions. Nul n’a peut-être mieux compris les vraies nécessités du pouvoir et plus