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humain ? Le drame domestique nous a donné, également plus d’une œuvre, sinon tout à fait irréprochable, du moins étudiée et sympathique, Sedaine n’a point fait assez école, parmi nous ; Mme Sand, qui a porté au théâtre un esprit de sérénité et de paix, trop étranger à beaucoup de ses romans, ne rencontre pas autant d’imitateurs, de disciples et d’émules que nous pourrions le souhaiter. Et cependant quelques-uns de nos jeunes auteurs s’aperçoivent et sentent que du côté de la tragédie et de l’idylle bourgeoise il y a bien des filons d’or à suivre, bien des diamans à extraire et à polir. Il n’est pas rare que dans une pièce dont l’idée première a été empruntée à ce fonds de mœurs dures et de mauvaise compagnie qu’il est, à ce qu’il paraît, impossible d’éviter, on rencontre tout à coup une physionomie originale, heureusement esquissée, des émotions honnêtes, des traits d’une moralité pathétique et presque austère, des mouvemens vrais, un ton mesuré, un dénoûment à peu près concluant, tout ce qui enfin, transporté en un sujet qui n’aurait pas le tort d’évoquer les souvenirs les moins purs et les images les plus tristes, pourrait produire une œuvre élevée ou à tout le moins satisfaisante. Encore une fois nous ne fermons pas les yeux à de tels mérites ; mais des épisodes isolés et rares ne sauraient modifier le jugement général que nous inspire un ensemble de phénomènes continus. L’accueil favorable qu’un public trop restreint est toujours disposé à faire à certaines œuvres délicates et consciencieuses ne nous console qu’à demi des spectacles funestes où la foule s’habitue de plus en plus à courir. Le succès même qu’obtient en ce moment le Lion amoureux, et qui rappellera enfin, nous voudrions l’espérer, la Comédie-Française à ses devoirs et à son vrai caractère, ne suffit pas pour nous rassurer sur l’avenir de notre théâtre. Ce succès a beau avoir éclaté à la manière de ces coups de foudre qui viennent quelquefois dissiper les vapeurs malsaines de l’atmosphère : il y a des ébranlemens passagers qui ne purifient l’air que pour un jour ou deux. A peine la première représentation du Lion amoureux finissait-elle que le drame d’Héloïse Paranquet, d’ailleurs émouvant et humain en quelques-unes de ses parties, mais qui nous ramène trop, comme d’autres pièces contemporaines, à la religion et à la poétique du code, venait de nouveau éveiller chez nous des impressions bien mêlées.

Il serait temps que tous ceux dont l’exemple, la parole ou les actes peuvent, faire autorité prissent le parti de s’inquiéter de la contagion de brutalité, de sécheresse et de violence qui s’est emparée de notre littérature. On ne nous persuadera point que la comédie forte ne subsiste qu’à la condition, de braver toutes les bienséances et de briser toutes les barrières. La force est justement