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le compte des confédérés. La moitié des groupes était armée de rifles et de revolvers sous prétexte que les escortes étaient nécessaires pour repousser les attaques des Indiens bravos, qui attendaient leur retour, embusqués dans les grandes prairies. Une fois le pied sur le territoire mexicain, les bandes se déclaraient juaristes et s’éparpillaient en guérillas à la voix du général Cortina. C’étaient ces guérillas qui infestaient le parcours de Tampico à San-Luis, et que nous devions poursuivre au premier jour.


V

Le 7 juin, la contre-guérilla quittait Tampico ; jamais ses rangs n’avaient été aussi compactes : 290 fantassins, 260 cavaliers et deux bouches à feu, dont une rayée, défilèrent par la porte d’Altamira. Les deux pelotons de cavaliers arabes ouvraient la marche : au moment du départ, l’avant-garde eut une rude tâche à remplir pour écarter les blanches Mexicaines et les Indiennes cuivrées qui formaient cortège. La garnison désignée pour garder le port pendant cette sortie s’était renforcée des cargadores, espèce de corporation privilégiée de portefaix indiens, vigoureux gaillards employés à charger les cargaisons sur le quai de la douane. Mariés presque tous et vivant en ville, ils étaient intéressés par leur salaire à la continuation du travail et résolus à repousser les coups de main qui pouvaient l’interrompre.

La route d’Altamira, qui devait nous conduire dans cette ville d’abord, puis à Santa-Barbara, à Tula, et de là à San-Luis, s’engage, à deux kilomètres de Tampico, sous les voûtes d’une splendide forêt vierge. Des deux côtés se cachent à l’ombre de grands arbres à caoutchouc des cahutes d’Indiens, entourées de champs de maïs et de bananiers. A l’aspect de nos vestes rouges, des enfans nus et effarés se sauvent dans les touffes de bambous. Plus loin, le chemin devient désert, c’est partout un long silence ; bientôt les éclaireurs s’arrêtent pour fouiller une redoute abandonnée : c’était hier le bivouac des guérillas. Les branches entremêlées de lianes forment partout un rideau impénétrable ; en les écartant, on découvre une foule de petits sentiers bien battus, semblables à des coulées de bêtes fauves. Les pieds des marcheurs s’enfoncent dans les sables humides qu’on retrouve encore à une quinzaine de lieues du littoral. Le soleil de juin est dans toute sa force et l’eau manque ; malgré des haltes répétées, plusieurs fantassins tombent frappés d’insolation : après quelques minutes de délire, ils succombent. On sait qu’une lagune, dont l’eau est assez bonne, se trouve à moitié route d’Altamira : on s’y traîne péniblement ; après quatre heures