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l’argent et les canons pris à Carbajal pour protéger sa résidence. Il est à croire que les canons auraient eu eux-mêmes bientôt besoin de protection. Toutes ces prétentions furent rejetées, et on lui témoigna l’étonnement qu’avait causé son humeur pacifique et sa mollesse à poursuivre Carbajal ; néanmoins la séparation fut assez cordiale.

Le chemin était raviné et rocailleux. Les Indiens s’attelèrent aux pièces pour les traîner jusqu’à Tamiahua. On y passa vingt-quatre heures à organiser l’évacuation des blessés. Tous les bateaux plats du lac étaient réunis à un seul embarcadère ; lorsqu’ils furent chargés, on partit sous escorte. La flottille s’avançait lentement ; la lagune était déjà basse à cette époque. Les Indiens marchaient sur les flancs, à l’avant et à l’arrière, avec de l’eau jusqu’aux genoux ou jusqu’à la ceinture, poussant les embarcations de leur mieux. Vers le soir, la brise fraîchit : chacun d’arborer au vent mouchoirs, chemises et couvertures ; autant de voiles improvisées pour filer plus vite. Les blessés trouvaient encore la force de plaisanter, et de temps à autre une voix criait : « Combien de nœuds au loch ? »

La contre-guérilla, rassurée sur le sort de ses malades, retourna sur ses pas pour rentrer de son côté à Tampico par la voie de terre. En repassant à Temcoco, elle fut reçue au son des cloches. Les paysans offraient en cadeau toutes leurs provisions. Le soir, il y eut bal sous les orangers. On retrouvait là les danses nègres des Antilles. La mesure était lente et parfois saccadée comme dans le bamboula de la Martinique ; hommes et femmes se mêlaient avec accompagnement de gestes et de poses. L’eau-de-vie brûlante du pays servait de rafraîchissement, et les verres étaient souvent remplis. L’orchestre était conduit par un violoniste qui parfois semblait inspiré. A sa droite chantait une flûte ; à sa gauche résonnaient deux instrumens indigènes, espèces de claviers en bois ou en paille à quinze touches isolées reposant sur des morceaux de cire. Les joueurs frappaient en cadence avec deux bouchons de liège ; les sons n’en étaient pas moins harmonieux. Pendant la marche du retour, on s’aperçut que les bourgades désertes la semaine précédente s’étaient repeuplées. De nombreuses députations apportaient la soumission de divers pueblos de ce pays, presque inconnu des étrangers jusqu’à ce jour. Les habitans profitaient du passage de la contre-guérilla pour lui livrer les bandits les plus redoutés. Grâce à leurs indications, on en pendit un dont les états de service étaient anciens déjà. Depuis sept ans, il rançonnait le pays sous le nom de Benito (béni). Malgré ses méfaits, toutes les geôles l’avaient laissé échapper, tant était grande la terreur qu’il inspirait : personne n’osait s’exposer à des représailles certaines, puisqu’on