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échappés de Puebla et de Mexico. Carbajal était assez intelligent pour savoir que la contre-guérilla ne retournerait pas à Tampico sans lui offrir le combat. Il fit un mouvement en arrière pour l’attirer davantage au plus épais des terres chaudes, là, où il pouvait d’avance choisir le meilleur terrain et le fortifier. Il établit son camp à San-Bartolillo. C’est un groupe de cabanes, de ranchos, couverts de branches de palmiers, cachés sous d’épais orangers, qui commande la plaine tout en se reliant par derrière à une forêt vierge. Deux jours après, la contre-guérilla venait prendre position en face de San-Bartolillo, dans une petite bourgade nommée Tantima. Celle-ci était déserte ; la population de Tantima est pourtant blanche et métisse, mais on avait fait courir le bruit par d’adroits émissaires répandus dans toute la Huasteca que les contre-guérillas étaient d’une grande férocité, sans respect pour les choses les plus sacrées. Les noirs, ajoutait-on[1], mangeaient les enfans. Cette absurde réputation, compréhensible pourtant dans le voisinage des Indiens bravos, qui sont anthropophages, nous a précédés dans tout le Tamaulipas, et longtemps les femmes se sont présentées seules devant leurs maisons lors de notre passage dans plusieurs localités. Le stratagème, quoique grossier, avait réussi, et la peur des colorados avait chassé toutes les familles de leurs foyers. Depuis le départ de Tampico, les vivres étaient devenus rares ; à Tantima, il n’y avait même pas de volailles, cette grande ressource du pays. On dut aller à la découverte, puisque l’ennemi faisait le vide partout où passait la colonne. Vers le soir, dans un champ de maïs, un détachement envoyé en reconnaissance essuya une vive fusillade. Carbajal ouvrait le feu : c’est qu’il était prêt et que ses espions lui avaient sans doute rapporté que le colonel Llorente, dont on n’avait aucune nouvelle, ne marchait pas sur ses derrières.

Malgré la maigre soupe qu’on avait mangée, cent fantassins se préparèrent à une attaque de nuit dirigée contre Carbajal à San-Bartolillo. Le reste de la troupe devait former la réserve. Des Indiens rencontrés sur le chemin s’étaient offerts pour guider la colonne d’attaque ; au moment du départ, ils avaient disparu. Vers deux heures du matin, on apprit que l’ennemi levait le camp à la hâte et se dirigeait sur le gros village de San-Antonio, situé à trois lieues plus en arrière. Ce mouvement de nuit, ces guides disparus, cette brusque retraite qui semblait faite pour amorcer la poursuite, tout présageait une ruse de guerre. Carbajal n’avait-il pas fortifié San-Antonio pendant les deux derniers jours, et n’avait-il pas masqué ses travaux défensifs en bivouaquant à San-Bartolillo ?

  1. Notre cavalerie comptait en effet deux pelotons d’Arabes plus ou moins foncés, qui avaient conservé la coutume africaine de pousser des cris aigus pendant le combat,