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détaillées des baies, des plans de terrains, — tout cela en paraissant s’occuper de radouber un navire qui, pour le dire en passant, n’avait pas le moindre besoin de réparation. Cela dura des mois, les autorités ne disaient rien, soit qu’elles fussent gagnées, soit qu’elles se sentissent sans appui. Les choses étaient vraiment dans la meilleure voie lorsque le jeune capitaine russe compromit tout par quelques brusqueries ou de trop libres allures. La population finit par s’ameuter et pesa sur le gouverneur, qui à son tour ne put faire autrement que de rendre compte de tout ce qui se passait au gouverneur de Nangasaki.

Or ici l’affaire tombait entre les mains de l’amiral anglais, sir Charles Hope, et du chef de la station française, qui témoignaient une extrême surprise qu’un tel événement eût pu s’accomplir à une distance de dix-huit ou vingt heures de Nangasaki, presque en face des deux stations, sans qu’on eût rien su. Sir Charles Hope se rendit sur les lieux avec deux de ses navires, et après avoir tout vu par lui-même il adressa une protestation en règle à l’amiral Likhatchef, commandant en chef de la station russe, avec sommation à cet officier-général de faire évacuer immédiatement les îles Tsousima. L’amiral Likhatchef, qui pendant tout ce temps s’était tenu à dessein dans le nord et qui avait laissé courir le bruit que le Posadnik s’était perdu corps et biens dans un ouragan, affecta d’être très étonné de cette aventureuse équipée ; il déplora beaucoup l’imprudence du capitaine conquérant, désapprouva sa conduite et fit évacuer la place immédiatement. Le Posadnik partit en effet trois jours après avoir reçu cet ordre. Birulof fut disgracié pour quelque temps ; l’amiral Likhatchef fut aussi rappelé : c’était juste, puisqu’ils n’avaient pas réussi. Le gouvernement de Pétersbourg désavoua complètement toute cette entreprise manquée et envoya l’amiral Popof pour remplacer Likhatchef ; mais voici où commence le plus curieux de l’histoire et ce qui en fait la moralité secrète. Le ministre de la marine de Pétersbourg fit remettre à tous les navires de l’escadre de l’amiral Popof les cartes détaillées des îles Tsousima levées par les soins du capitaine Birulof, et sur une de ces cartes se trouvait même approuvé le plan des fortifications, usines, établissemens à élever, si on se trouvait ramené à pareille aventure. Là où Birulof et Likhatchef ont échoué, d’autres peuvent être un jour plus heureux. Il n’est pas impossible assurément que l’occasion ne se reproduise, et la Russie est trop habile pour la laisser échapper, pour ne pas profiter de tous les avantages. Il faut avouer du reste que, malgré tout ce qui peut la rendre suspecte, les événemens ont tourné dans ces derniers temps de façon à favoriser singulièrement la politique moscovite dans ses rapports avec le Japon, et les autres puissances elles-mêmes, faute de se rendre un