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important de l’Asie centrale. Vienne le moment, et il n’est peut-être pas éloigné, où la Chine, tombant sous sa corruption séculaire et sous l’influence des idées étrangères importées par des milliers d’aventuriers agissant au nom de tel ou tel gouvernement, se laissera enlever pièce à pièce ses plus belles provinces par celui qui voudra s’en emparer, — ce jour-là ce ne sera certes pas la Russie qui s’abstiendra de prendre part à la curée. Il n’est même pas absolument impossible que, spectatrices de l’anarchie et de la chute de l’Empire-Céleste, les puissances européennes, la Grande-Bretagne la première, ne voient avec une résignation impuissante les empiétemens de la Russie. En présence de toutes ces éventualités, ne serait-il pas de l’intérêt de l’Europe de fixer quelque peu ses regards sur la Corée, de réserver son indépendance, de la protéger contre une domination qui, une fois établie sur ce point, ne pourrait plus être facilement délogée ? Mais ceci est du domaine de l’avenir, — d’un avenir qui peut cependant n’être pas fort éloigné.

Pour le moment, la base d’opérations pour la Russie reste dans ces magnifiques contrées de l’Amour que son habileté, sa persévérance et sa hardiesse ont su conquérir. Voyons un instant l’état actuel de ces possessions et ce que la politique moscovite y peut trouver de ressources. L’Asie, devenue russe depuis le 42e degré de latitude nord jusqu’au détroit de Behring, met dès ce moment à la disposition du tsar des baies et des ports dont un certain nombre, situés vers le sud, restent ouverts à la navigation pendant l’année entière, et grâce à des défenses naturelles peuvent devenir autant d’arsenaux imprenables. Sur toute cette étendue de côtes, les bois de construction abondent. Le charbon de terre, signalé dans beaucoup de localités en Mandchourie et vers le Haut-Amour, est déjà exploité avec succès dans l’île de Sakhaline depuis sept ans. Les métaux les plus variés se trouvent partout où on peut faire arriver assez de malheureux déportés pour fouiller la terre, et des usines fondées sur le Haut et le Bas-Amour sont déjà sortis des bateaux à vapeur qui sillonnent ce fleuve gigantesque. Navigable sur un espace de 1,800 milles géographiques, l’Amour arrose des plaines où se montrent le pin et le chêne aussi bien que la vigne et le noyer, et poursuit son cours à travers la Sibérie orientale, pays des plus riches, qui sous une autre administration serait pour le Pacifique ce qu’est devenu pour l’Atlantique le Far-West de l’Amérique du Nord. C’est la Sibérie qui aujourd’hui fournit du chanvre, des toiles et des approvisionnemens de toute sorte aux arsenaux de Nicolaïefsk sur le Bas-Amour, d’Olga, de Vladi-Vostok, et c’est grâce à ces ressources sibériennes que l’escadre russe put être ravitaillée par le général Mouraviev en 1855 après l’évacuation de