Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut revivre et prendre une extension bien autrement considérable que dans le passé, lorsque le chemin de fer projeté entré Poti et Bakou, sur toute la largeur de l’isthme caucasien, mettra en communication directe et rapide la Caspienne et la Mer-Noire, et ces deux bassins avec la Méditerranée. À l’angle sud-est de la mer Caspienne, Astérabad, reliée par la navigation à vapeur avec Bakou et admirablement située comme l’entrepôt des denrées de l’extrême Orient, semble appelée à devenir un jour une ville tout aussi européenne qu’Odessa.

Mais c’est principalement sous le rapport de la situation militaire « t des finances de la Russie que cette acquisition a de l’importance. Le gouvernement peut disposer maintenant des 100,000 hommes de troupes régulières qu’il était obligé d’entretenir sur le Kouban et qu’il fallait considérer comme une valeur nulle dans le bilan des forces militaires de l’empire. Ces troupes, on se le rappelle sans doute, durent pendant la guerre de Crimée être maintenues immobiles, l’arme au bras, dans leurs cantonnemens respectifs. Maintenant les Cosaques du Kouban non-seulement suffisent pour défendre les lignes stratégiques comme garnisons permanentes, mais encore ils peuvent être détachés et employés comme troupes légères dans une future campagne, soit en Europe, soit en Asie ; au besoin, ils seraient suppléés au Caucase par les milices indigènes assez nombreuses, assez bien disciplinées pour contenir le reste des populations et faire parmi elles un service de police et de sûreté. L’entretien de ces 100,000 soldats ne coûtait pas moins de 25 millions de roubles par an, comme nous l’apprend M. de Fadeief. C’est une dépense qui ne pèse plus sur le trésor impérial et dont il peut dégrever le budget en les licenciant en temps de paix, ou qu’il a la faculté d’affecter à toute autre destination, et qu’il ne faut pas oublier de porter en compte comme une ressource de plus qu’aurait la Russie dans le cas d’une guerre extérieure.

Si cette dernière éventualité devait un jour se réaliser, si une conflagration générale venait à s’allumer, alors apparaîtrait dans tout son jour la vérité des considérations qui précèdent, et qui peuvent être résumées ainsi : le Caucase ajouté à l’empire des tsars est pour le maître de cet empire une compensation de la prise de Sébastopol, un acheminement au rétablissement de la prééminence dans la Mer-Noire, peut-être à la domination exclusive de cette mer, une nouvelle chance obtenue dans la partie dont la Turquie serait l’enjeu, et contre ses adversaires une imprenable position.

De la conquête de cette position ressort plus d’un enseignement dont peut profiter et s’éclairer la politique contemporaine, pour prévoir et assurer l’avenir. La nation dont cette conquête est