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russe, parsemée de villages et de populations laborieuses et empressées, tant avait été prompte la transformation.

Aux colons de 1864 échut une chance particulièrement heureuse : ils eurent pour lots des terres déjà cultivées et toutes prêtes à les recevoir. La crise de la guerre éclata d’une manière si subite et si inattendue que les montagnards, bien éloignés de l’idée d’une déroute imminente, avaient labouré et ensemencé leurs champs comme d’habitude pendant l’automne ; ils partirent tout à coup, et ce furent les nouveau-venus qui firent la moisson.

Les stanitzas fondées dans la province du Kouban depuis le commencement de la colonisation, en 1860, sont au nombre de 111, habitées par 14,223 familles, que M. de Fadeief estime s’élever à un total de 85,000 âmes et qui ont été classées en neuf régimens de Cosaques à cheval. Si l’on étend les limites dans lesquelles stationne l’armée du Kouban non pas seulement à la province de ce nom, mais encore à toute la surface du pays qu’elle occupe réellement, c’est-à-dire depuis le fleuve Yéï, non loin de l’embouchure du Don, jusqu’à l’Abkhazie, et depuis le détroit de Kertch jusqu’à la Kouma, on aura une population de 440,000 âmes d’origine russe ou cosaque, et en y ajoutant les restes des tribus réparties dans les intervalles des stanitzas, un total de 570,000 âmes. Cette supputation nous laisse donc un chiffre de 130,000 indigènes établis dans les plaines basses du Kouban, et qui y vivent aujourd’hui, comme toutes les autres communautés du Caucase, sous le régime d’une administration locale dirigée par des officiers de l’armée russe. Ainsi la prise de possession du Caucase occidental par la race slave, qui devait se terminer seulement en 1865, était accomplie déjà, au moins dans ses travaux les plus essentiels, à la fin de l’été de l’année dernière.

Les cadres réglementaires ont été remplis, mais il reste encore assez de place pour contenir une population double de celle qui s’y est répandue. Les colons actuels ne sont que l’avant-garde de ceux qu’amènera l’avenir. La contrée dont nous venons de tracer les limites égale en effet par son étendue le gouvernement de Volhynie, et abstraction faite de la partie la plus élevée de la grande chaîne, impropre à la culture, elle peut être mise en parallèle, pour la fertilité du sol, presque encore vierge, avec le gouvernement de Kief. Par l’abondance et la variété de ses richesses naturelles, par sa position géographique si avantageuse entre un grand fleuve sillonné par la navigation et une mer qui ne gèle jamais et qui la rattache à l’Europe et à l’Asie, cette contrée est la plus belle, la mieux dotée de toutes les provinces du Caucase, et peut-être même de tout l’empire russe.