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fondé ces lignes de défense contre lesquelles les montagnards sont venus se briser, et qui les ont enveloppés comme un réseau d’acier. M. de Fadeief raconte que des officiers envoyés par le gouvernement français pour étudier le système des lignes stratégiques du Caucase et les moyens de l’appliquer à l’Algérie ont reconnu que ce système était impraticable chez nous, faute d’hommes doués des qualités particulières au Cosaque et capables de supporter son existence à moitié sauvage. A notre tour, il nous sera permis de dire avec un sentiment de légitime orgueil que d’un Russe, d’un Cosaque, d’un Européen quelconque autre qu’un Français, ne se formera jamais une trempe de soldat comme celle du zouave.

Pour couvrir les dépenses de la colonisation, le gouvernement fit un fonds de 10,139,000 roubles, dont 8,045,000 à fournir par le trésor impérial et 2,094,000 par la caisse militaire de la province du Kouban. L’allocation attribuée sur cette somme à chaque famille fut réglée dans la proportion de 121 à 435 roubles, avec une fraction de quelques kopeks en sus, suivant la qualité ou le grade du chef de la famille, officier ou simple soldat[1]. Chaque colon reçut en outre une somme déterminée pour frais d’équipement personnel et de nourriture de route, et 6 roubles pour dépenses générales ; 10,000 roubles furent affectés à la construction de l’église de chaque stanitza.

Une stricte économie dut présider d’abord à la distribution de la portion des dépenses qui incombait au trésor impérial. La réduction de l’armée du Caucase, opérée par suite de la soumission de Schamyl, n’avait pu porter sur les troupes de la province du Kouban. La guerre contre les Tcherkesses continuait avec activité et tenait plus de 100,000 hommes en ligne. Plus tard, lorsque la lutte fut circonscrite dans le rayon du littoral de la Mer-Noire et touchait à sa fin, la charge du trésor impérial aurait été allégée par le licenciement d’une partie de l’armée du Kouban, s’il n’avait pas dû à cette époque pourvoir aux frais qu’occasionna la réorganisation de toutes les forces de l’empire. Dans ce remaniement général, trois divisions d’infanterie, nouvellement créées, vinrent renforcer l’armée du Kouban ; mais la colonisation avait pris alors un cours régulier : la fertilité des terres du Caucase occidental, les immunités et les avantages accordés par le gouvernement attiraient des nuées d’immigrans. Le mouvement, loin de se ralentir, ne fit que s’accélérer et par contre-coup hâta l’achèvement de la conquête. S’appuyant sur les lignes de stanitzas qui s’élevaient rapidement et qui dès le printemps de 1864 s’étendaient sans

  1. Officiers, 435 roubles 71 kopeks ; Cosaques, 156 r. 46 6/7 k. ; paysans de la couronne, 122 r. 14 1/2 k. ; soldats mariés, 121 r. 43 1/7 k.