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ses découvertes, ne trouvait que dans la poésie son apaisement et sa délivrance.

On peut juger, d’après cela, en quel sens il faut entendre la création poétique chez Goethe. Par l’étude constante de la réalité, par la contemplation des lois générales, par la méditation des grands problèmes, il remplit sa pensée de faits, de lois et d’idées scientifiques ; mais ce travail assidu et ces vastes connaissances n’étouffent pas la réclamation énergique des facultés créatrices ; c’est maintenant à leur tour d’agir. A un jour donné, dans une heure privilégiée d’émotion poétique, cette masse confuse de détails, cette multitude de notions générales, non liées entre elles, s’ébranle. Une conception esthétique apparaît, obscure et vague d’abord, puis se déterminant et se précisant de plus en plus, s’emparant de cet amas de phénomènes et de problèmes enfermés dans chacun d’eux, éliminant les uns, recueillant les autres pour les relier dans un ensemble, imposant à toutes ces notions isolées une direction générale, un centre déterminé, une forme, — les organisant. Quelque type caractéristique, choisi par le poète, fera l’unité de l’œuvre, lui donnera son nom. Le comble de l’art sera atteint, si un grand intérêt, un sentiment humain et puissant domine l’ensemble et attendrit ce drame des idées pures en y mêlant quelque chose de l’homme. C’est alors qu’on peut dire que l’inspiration a fait son œuvre vraiment divine ; elle a créé la vie dans ces formes inanimées. Tout avait déjà pris un corps, une figure ; tout maintenant va s’animer pour une existence idéale à la fois et réelle. Heureuse l’œuvre ainsi conçue dans les régions les plus hautes de la pensée, et dans laquelle a passé, avec le frisson sacré du poète, la palpitation immortelle de la vie ! L’émotion de la foule humaine s’attache à de pareilles œuvres et ne les quitte plus à travers les siècles.


I

Il y a donc une interprétation nouvelle, en un sens, à donner de cette poésie, à la fois savante et inspirée, qui rappelle à plusieurs égards l’inspiration alexandrine. Nous essaierons de montrer par quels liens l’invention poétique de Goethe se rattache à sa philosophie générale. Ce serait assurément ne rien comprendre à son génie que de ne pas marquer, parmi les sources les plus hautes et les plus actives de son inspiration, cette métaphysique de la nature qui occupe les sommets les plus élevés de son esprit. Il nous a paru intéressant de remonter aussi loin que possible vers ces hauteurs, jusqu’à la source qui en jaillit. Nous allons maintenant descendre avec elle la pente par où elle se précipite, la suivre dans son cours