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II

Après avoir suivi les Tcherkesses dans leurs pérégrinations à travers un pays dont l’hospitalité leur a été aussi funeste que la proscription qui les avait éloignés du sol natal, il est temps pour nous maintenant de retourner au Caucase, où nous attend un spectacle d’un ordre tout différent de celui que la guerre nous y a montré. La violence et la destruction ont cessé ; une ère nouvelle s’ouvre et inaugure l’œuvre réparatrice de la colonisation et de la paix. Les indigènes, agrégation de tribus mi-païennes et musulmanes, aux instincts héroïques, mais barbares, société à peine ébauchée et déjà usée par l’anarchie et le désordre, les indigènes font place à une population nouvelle, rameau détaché de la grande famille européenne et chrétienne, faite aux habitudes actives et industrieuses de la vie civilisée, animée au travail et au progrès.

Les raisons politiques et surtout la nécessité d’assurer sur ce point la sécurité des frontières de l’empire, qui avaient provoqué l’exclusion des uns, déterminèrent le choix et l’appel des autres, deux mesures corrélatives et dont la seconde était la conséquence obligée de la première. D’après les projets du gouvernement de Saint-Pétersbourg, la colonisation du Caucase occidental dut commencer en même temps que la guerre, en 1860. A peine une portion du territoire ennemi était-elle occupée militairement, qu’elle était livrée aussitôt aux immigrans qui se présentaient avec l’intention d’y créer des établissemens agricoles ou industriels. Des rangées de stanitzas devaient s’élever à la suite de l’armée en marche, au fur et à mesure des progrès de la conquête. Il fut prescrit aux troupes, aussitôt après avoir débusqué les montagnards de leurs aoûls, d’abattre les forêts, de percer des voies de communication, de fonder des villages fortifiés, et, s’il leur restait assez de loisir, de bâtir des maisons pour les colons.

L’exécution de ce plan comportait des efforts et des dépenses hors de proportion avec les moyens alors disponibles ; ce n’était pas tout que de combattre et d’expulser les montagnards, il fallait encore réserver tout un matériel de guerre, des approvisionnemens et des forces considérables, pour protéger les travailleurs, qui ne pouvaient aller aux champs ou s’écarter au-delà de quelques verstes sans être exposés au feu de l’ennemi ou à tomber dans quelque embuscade. Ces premiers essais furent réglementés par un oukase impérial en date du 10/22 mai 1862, qui décréta la colonisation du territoire situé au pied des montagnes dans la province du Kouban. Les régimens de la ligne stationnés dans les limites du rayon de cette province furent réunis avec les Cosaques