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situation et aviser avec lui au moyen d’y porter remède. J’extrais quelques lignes de son rapport, en les citant textuellement, pour ne point en affaiblir l’effet.

« Les conditions des émigrans durant la traversée sont effrayantes… Une fois à terre, dans les campemens, ces conditions ne sont guère meilleures ; ils y sont sans abri, abandonnés à eux-mêmes, sans soins, sans police sanitaire, sans assistance aucune. Aussi y vivent-ils dans la plus profonde misère, au milieu de cadavres sans sépulture, décimés par la variole qu’ils ont importée et qu’ils propagent, par les affections typhiques qu’ils ont développées, par tous les états pathologiques que la misère et l’inanition engendrent. Dans les campemens, chaque famille compte plus d’un malade ; il y en a beaucoup qui s’y sont éteintes. Les malades ne reçoivent aucun secours, ils gisent sur la terre nue, exposés à toutes les intempéries, et la mort vient les frapper dans cet état ; la plupart des cadavres, restant abandonnés, se putréfient sur place.

« De là une mortalité considérable ; elle est énorme chez les femmes et les enfans ; les hommes résistent davantage aux souffrances et à la faim. Dans le mois d’avril dernier, à Trébizonde, 400 individus mouraient par jour sur une population de 27 à 30,000 émigrés ; mais c’est à Samsoun que la mortalité est vraiment effrayante, parce que la misère y est aussi plus grande. Il est vrai que partout l’émigré manque de nourriture suffisante, mais c’est à Samsoun surtout que la famine règne. Pendant les vingt-deux jours que j’ai passés dans cette localité, l’autorité n’avait à distribuer, à plus de 100,000 individus, que 10,000 ocques de pain par jour, c’est-à-dire 40,000 rations de 100 drachmes chacune. Ajoutons que cette distribution est très défectueuse et que les vrais nécessiteux n’en profitent guère, attendu que les chefs et leur suite absorbent presque tout, si bien que les plus malheureux restent souvent plusieurs jours sans recevoir ce faible secours. Alors, à défaut de pain, ils se nourrissent de racines, d’herbes et de tous les débris d’alimens qu’ils peuvent ramasser. Ce déplorable régime alimentaire a des conséquences funestes sur leur santé, déjà délabrée.

« L’évacuation par voie de mer ou de terre marche très lentement, faute de moyens de transport, mais faute aussi d’une direction convenable. On peut dire que l’établissement définitif des émigrés n’est pas encore commencé, et cependant la saison avance. Les quelques milliers que l’on a transportés sur les différens points du littoral y ont été abandonnés ; la misère les ronge et la mort les décime. Il en est de même de ceux qui ont été internés dans les provinces de Djanik, d’Amassie et de Sivas. En général, il faut le