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chef de la révolte était certainement bien rassurée, et le montrait publiquement, sur les périls que pouvait faire courir à son téméraire époux la terrible poursuite des généraux Zabala et Concha.

Tout en refusant d’accorder à cet incident une importance solennelle, nous ne nierons point, après tout, que le coup de tête de Prim ne puisse fournir matière à quelques réflexions sérieuses. La tentative des rebelles, même en la supposant tout à fait déjouée, aura eu pour effet de simplifier la situation politique intérieure. En ce cas, un élément qui menaçait de devenir très actif, l’élément progressiste, sera pour un certain temps écarté de la lutte. Les diverses opinions conservatrices, modérées ou libérales, qui se sont trouvées en face d’une révolution et en ont été quittes pour la peur devraient profiter de la leçon. Ces partis devraient repousser loin d’eux ce système de défiances mutuelles, de dénigrement réciproque, cette guerre de rumeurs sourdes dont la reine avait été depuis quelques mois la victime universellement désignée. C’est un fait curieux que tous les partis, à travers leurs jalousies et leurs haines, en étaient arrivés à rejeter sur la reine la responsabilité des embarras de l’Espagne. Tous les partis s’imputaient la pensée de conduire la reine à une abdication forcée ; même au début du mouvement de Prim, ces accusations persistaient. On attribuait d’un côté à l’union libérale la pensée de donner la régence à O’Donnell ; on prétendait d’une autre part que les absolutistes agissaient aussi sur la reine pour la déterminer à quitter le trône et à laisser la régence à son mari. Ces dénonciations intestines, accréditées jusqu’à un certain point par l’attitude chagrine et le langage découragé de tous les hommes politiques d’Espagne, ont failli ouvrir l’accès de la place au troisième larron. La position de la reine Isabelle nous paraît devoir sortir de cette crise dégagée et fortifiée. En dépit des motifs de mauvaise humeur qu’ils croient avoir, les partis gouvernementaux doivent comprendre le danger auquel ils seraient tous exposés par un ébranlement et un déplacement du pouvoir royal ; ils doivent sentir combien ils ont tous besoin de l’arbitrage de la reine. Il y aurait deux façons de compromettre et de perdre l’avantage que le gouvernement espagnol peut tirer de la tentative avortée de Prim : ce serait, ou bien que le maréchal O’Donnell crût devoir profiter de son ascendant militaire pour agrandir son pouvoir politique aux dépens de la couronne, ou bien que les fauteurs des doctrines absolutistes songeassent à employer la force que peut avoir gagnée le pouvoir royal à exciter un mouvement réactionnaire qui menacerait tout d’abord le maréchal O’Donnell lui-même et ses amis. Que de pareilles inclinations puissent exister, il faudrait bien peu connaître la nature humaine pour le mettre en doute. Un conservateur excessif, M. Nocedal, n’a-t-il pas laissé, voir la portée des ressentimens réactionnaires en déclarant à la chambre qu’il maudissait les insurrections militaires aussi bien dans le passé que dans le présent ? Cette allusion au passé allait directement à l’adresse d’O’Donnell, et un ministre, M. Posada Herrera, a fait voir, tout en la dé-