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pagne accidentée, colorée, ardente, fantasque, celle que nous ont peinte les romanciers et les poètes, et nous aurons toujours pour mie l’Andalouse d’Alfred de Musset. Le général Prim sera certainement un grand coupable, s’il n’a pas la chance d’être aussi heureux que le fut le général O’Donnell en 1854. Il aura toujours eu le mérite de balayer par un court orage la lourde et étouffante atmosphère où l’Espagne suffoquait depuis six mois. Nous n’avons aucun goût personnel pour le général Prim ; nous lui gardons une dent pour ses rêves de Vichy, qui ont été révélés à l’histoire, et pour la part qu’il a prise à la conception de l’affaire du Mexique : nous ne pouvons même oublier le ridicule dont il s’est couvert en menaçant, en plein sénat d’Espagne, de sa bonne lame de Tolède, un simple robin tel qu’était feu le pauvre M. Billault. Il nous est indifférent que le marquis de Castillejos devienne premier ministre de toutes les Espagnes ou revienne fumer des puros à Tortoni, comme de précédens exils lui en ont déjà fourni l’occasion. Quoi qu’il arrive pourtant, le bouillant général aura eu le plaisir de faire parler de lui, et aura rendu à son pays une sorte de service en brisant une situation devenue intolérable par son épuisante incertitude.

On ne peut dire grand’chose de l’insurrection elle-même, aujourd’hui probablement déjouée, le ministère espagnol ayant mis la main sur tous les journaux et n’ayant laissé arriver à la publicité que les informations de sa façon. Le petit nombre des incidens connus présente un caractère original. Bien que le ministère se vante d’avoir été au courant de la conspiration, laquelle s’étendait, il ne craint pas de le dire, à toute l’Espagne, Prim a pu quitter Madrid avec ses amis comme s’il partait pour une partie de chasse. Les Catalans dont il s’est composé une petite garde étaient cachés d’avance à Madrid et en sont sortis sans difficulté. Prim a enlevé sans obstacle la garnison d’Aranjuez : c’est son premier et dernier succès. Après avoir rallié la cavalerie d’Aranjuez, il vint, dit-on, jusqu’à quatre lieues de Madrid, à Alcala, où étaient établis d’autres régimens de cavalerie qu’il comptait entraîner ; mais le maréchal O’Donnell l’avait prévenu : se défiant de l’esprit de ces troupes, il les avait rappelées dans la capitale. On croit que, si Prim eût attiré à lui la cavalerie d’Alcala, il eût disposé de dix-huit cents sabres et eût tenté sur-le-champ un coup de main sur Madrid. Avec une telle force et se trouvant au nord de la capitale, il eût pu du moins se diriger vers l’Aragon et la Catalogne, y recruter de nombreux adhérens, y soulever les grandes villes, et, par une diversion aussi redoutable, provoquer et aider la population de Madrid à se prononcer. Au point de vue militaire, il semble que la cause décisive de l’échec de Prim soit l’avortement de son projet sur Alcala. Ce premier insuccès a rompu toutes ses mesures et fait manquer les insurrections partielles et les adhésions militaires sur lesquelles il comptait. Il s’est alors réfugié au sud de Madrid, dans la sierra de Tolède ; mais, quelle que fût la lenteur des généraux qui cherchaient à l’envelopper, il ne pouvait y tenir longtemps, et il est entré dans l’Estramadure en suivant le Tage, comme s’il se dirigeait vers le Portugal. Ce qui permet