Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/520

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

philosophie ancienne. La timide et modeste école écossaise elle-même manifeste un égal dédain à l’endroit du passé, et croit qu’avant elle on a complètement ignoré l’existence de l’esprit humain.

Cette méthode barbare, qui a jusqu’ici régné dans l’établissement des systèmes philosophiques, outre qu’elle est très injuste, a un très grand inconvénient : c’est que chaque nouveau philosophe, en détrônant son prédécesseur, étouffe en même temps les vérités partielles que celui-ci peut avoir découvertes. Il y a en effet dans tout système des vues qui ne sont pas liées avec l’ensemble du système, et qui par elles-mêmes sont vraies, solides, intéressantes, dignes d’être conservées par la science ; même parmi les vues systématiques, on peut trouver des faits, des données qui resteraient encore vrais, le système disparaissant. Ces vérités partielles sont le gain le plus solide et le meilleur héritage des écoles et des systèmes. Le doute méthodique de Descartes est une bonne chose pour tout le monde ; l’analyse des erreurs des sens et de l’imagination est aussi vraie pour Helvétius qu’elle l’est pour Malebranche. Les sentimens moraux ont été analysés par les Écossais d’une manière que toute école peut admettre. Ainsi de la méthode inductive dans Bacon, de la théorie du langage dans Locke et Condillac, de la théorie de l’habitude dans Maine de Biran ; mais, je le répète, par suite de cet esprit d’intolérance que la philosophie (surtout dans les temps modernes) a toujours pratiqué à l’égard d’elle-même, bien des choses excellentes sont toujours menacées par les révolutions des systèmes, de même que les bonnes lois, indépendantes des systèmes politiques, sont cependant entraînées souvent par les révolutions des états.

Eh bien ! l’histoire de la philosophie est le remède à ce grand mal, c’est à elle de réparer nos pertes, de recueillir dans le passé tout ce qui est perdu et bon néanmoins à reprendre, à conserver. Elle établit une tradition en philosophie : à travers tant de systèmes changeans, elle retrouve et essaie de dégager ce que Leibniz appelait la philosophie perpétuelle, perennis philosophia. Elle démontre que dans toutes les écoles, même les moins bonnes, il y a quelque chose à emprunter, car il est difficile d’admettre que des écoles sérieuses puissent avoir eu des sectateurs et duré un certain temps, si elles n’eussent été autre chose qu’un tissu d’erreurs.

Au reste, ce travail de restauration, qui consiste à retrouver et à préserver la tradition philosophique, à sauver cet héritage successivement accru par les âges, mais trop souvent renversé et détruit par les révolutions et les réactions, les révoltes et les coups d’état, les anarchies et les dictatures (car les écoles passent par les mêmes crises que les états), ce travail conservateur et réparateur ne doit