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déposer à terre ; beaucoup souffraient de vomissemens ou de la dyssenterie, de la variole ou d’affections typhiques ; tous mouraient de faim et de froid.

Une fois débarqués, ils se jetaient dans les villes, emportés par le besoin irrésistible de trouver des alimens et un abri. Dans les premiers jours de décembre, plus de 5,000 remplissaient déjà l’intérieur de Trébizonde, et ce nombre, s’accroissant de jour en jour, finit par dépasser le chiffre de 100,000. Vers le milieu d’avril, l’agglomération était au comble dans cette dernière ville, et les arrivages furent contraints de s’en détourner pour se diriger sur Samsoun. C’est vers ce côté que convergea dès lors le mouvement principal des émigrans. Les 10,000 que reçut d’abord Samsoun se trouvèrent au bout de quelques semaines au nombre de 30,000, et bientôt après de 120,000. La situation des habitans comme des réfugiés devint des plus graves et très alarmante. A Trébizonde, ceux-ci obstruaient les places et les rues ; le lazaret, les magasins, toutes les maisons disponibles en regorgeaient. Les maladies épidémiques qu’ils avaient apportées avec eux se développèrent rapidement, et la mortalité sévissait avec une intensité croissante. Les cadavres, ensevelis sous une légère couche de terre ou simplement enfouis sous la neige, s’amoncelaient dans les cimetières placés à l’intérieur de la ville. Il y avait à craindre qu’au moment du dégel les miasmes putrides dégagés de ces restes humains mis à découvert ne vinssent ajouter leurs émanations délétères aux causes d’infection déjà existantes. Les habitans étaient dans la consternation, les affaires suspendues. A Samsoun, la ville, comme prise d’assaut par une multitude affamée, offrait l’image d’une désolation plus grande encore. La population, menacée du pillage et terrifiée, commençait à fuir. Pour faire face à tant de difficultés et de dangers, quelles étaient les ressources ? Des autorités démoralisées, du pain et des alimens à peine, quelques rares abris ouverts à tous les vents, pour toute force publique cinq zaptiés (soldats de police), point d’argent ni de crédit.

Les secours accordés par le gouvernement ottoman avaient été promptement épuisés ou n’arrivaient pas. Quelles sommes d’ailleurs n’aurait-il pas fallu pour défrayer ces milliers d’hôtes survenus à l’improviste dans un dénûment sans pareil et pourvoir à leur installation dans les diverses provinces de l’empire où on se proposait de les interner ! Cette dépense énorme et imprévue aurait surchargé et dérangé un budget plus en ordre et mieux doté que celui de la Turquie ; mais il faut lui rendre cette justice, que dans sa pauvreté elle s’empressa d’ouvrir sa main compatissante à des coreligionnaires malheureux, et si le plus grand nombre d’entre