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nos jours, et qui lui assurent une place durable parmi les sciences historiques.

Un illustre érudit du XVIIIe siècle, le chef de l’école de Leyde, Tibère Hemsterhuys, se plaignait que de son temps « l’histoire de la philosophie, cette matière si riche des recherches savantes, n’eût pas encore attiré les études de la critique, qu’elle fût livrée à des compilateurs sans génie et sans lettres, qui ne connaissaient les philosophes anciens que par de vicieuses traductions, et qui tiraient d’une lecture superficielle un résumé aride et sans intelligence[1]. » Il y a un siècle à peine que ces paroles ont été prononcées. Combien tout est changé aujourd’hui ! L’Allemagne sans doute a le premier rang dans cette révolution. Les Tennemann, les Schleiermacher, les Brandis, les Ritter, les Zeller, les Trendelenbourg, ont mis l’histoire de la philosophie, surtout de la philosophie ancienne, au niveau des parties les plus avancées des sciences historiques et philologiques ; mais la France a eu aussi sa gloire dans ce grand mouvement : elle a fait des efforts pour rivaliser avec l’Allemagne, ou pour lui disputer le premier rang. Si elle ne l’égale pas pour ces grandes et vastes compositions qui embrassent l’histoire tout entière, en revanche nous avons sur presque toutes les grandes écoles philosophiques des travaux étendus et approfondis où la force de la pensée s’unit souvent à la solidité de l’érudition et à la sagacité de la critique.

M. Cousin a été, à n’en pas douter, l’initiateur et le guide de ce mouvement de recherches, et c’est la partie la moins contestable de sa gloire philosophique. Par sa traduction et surtout par ses argumens de Platon, M. Cousin, émule de Schleiermacher, voulut faire pour notre pays ce que celui-ci avait fait pour le sien, nous retremper à la grande source de la philosophie antique et nous rendre l’intelligence du passé en nous mettant en commerce intime avec le plus illustre de ses représentans. Par ses travaux sur Proclus et sur Olympiodore, il a révélé l’école presque inconnue du néoplatonisme d’Alexandrie ; par ses travaux sur Abeilard, il nous a ouvert le moyen âge ; par ses travaux d’éditeur, qu’il poursuit encore, il nous a particulièrement appris à recourir aux textes et aux sources, et il a discrédité à jamais les travaux de seconde main. Dans son Histoire générale de la Philosophie, il a donné les grandes lignes, les grands cadres, les grandes directions. Je néglige tout ce qu’il a écrit sur la philosophie moderne, ses livres sur Locke, sur Kant, sur l’école écossaise, qui sont des travaux de controverse philosophique plutôt que de critique historique,

  1. Éloge de Tib. Hemsterhuys, par Ruhnken.